Michel Guillou : « Pour que la Francophonie gagne ! »

Michel Guillou est directeur de l’Institut pour l’Etude de la Francophonie et de la Mondialisation (Université Lyon III). Titulaire de la Chaire Senghor de la Francophonie de Lyon, il est également conseiller du Président de l'Association internationale des Régions Francophones. Il a dirigé de 1991 à 2000 l'Agence universitaire de la Francophonie.

Pour la Francophonie le temps n’est plus celui de la défensive, le temps est désormais venu de l’offensive.
Année après année la place et l’utilité de la Francophonie se sont affirmées. Grande aire linguistique organisée, vouée au dialogue interculturel et à la promotion des valeurs de liberté, solidarité, diversité et dialogue, la Francophonie n’a cessé de progresser de Sommet en Sommet francophone.

En moins de trente ans, s’est construite graduellement sans brusquer, une communauté originale d’Etats et de gouvernements qui adopte des positions communes à caractère politique sur la scène internationale et mène une coopération pour la paix, la diversité culturelle et le développement. Cette communauté est devenue un pôle d’influence à part entière de notre planète mondialisée.
La Francophonie suscite un rêve. Elle met en avant des valeurs et privilégie l’approche multilatérale plutôt que l’unilatéralisme. Elle choisit pour l’accès à l’universel la synthèse des différences, et non l’affirmation d’un modèle unique et dominant. Ce faisant, elle rencontre les attentes et les besoins induits par l’actuelle mondialisation.

Ces points fondent son influence. Son attractivité est forte. Malgré la montée en puissance d’importants pôles économiques comme la Chine et l’Inde, et la déferlante économique, culturelle et linguistique américaine, chaque Sommet francophone voit de nouveaux pays frapper à la porte. Ils étaient 43 Etats et gouvernements membres en 1986 lors du premier Sommet, ils sont 68 aujourd’hui.

La Francophonie est devenue dans les relations internationales une puissance d’influence grâce aux valeurs qu’elle porte et aux combats qu’elle mène. On ne peut plus la négliger, il faut la construire. Ce rassemblement de peuples partageant des valeurs communes puise sa force dans un dynamique constructiviste qui confère aux idées une forte force d’influence. La Francophonie, par les valeurs qu’elle prône, est un "bien commun de l’humanité."

Que faut-il faire maintenant pour transformer l’essai, pour que la Francophonie saisisse la chance que lui offre la mondialisation, pour qu’elle gagne ?

Partout un effort de formation s’impose. On est confondu par l’ignorance des jeunes, des actifs et des décideurs. La Francophonie des Sommets n’est pas suffisamment connue, loin s’en faut. Le rétroviseur, qui renvoie majoritairement au colonialisme, fait des ravages. Il faut d’urgence introduire l’enseignement de la construction francophone dans l’éducation, depuis le primaire jusqu’au supérieur. Alors les élites de demain connaîtront la géopolitique francophone moderne et seront séduites par ses valeurs et son rôle dans la mondialisation.

Il est grand temps que la Francophonie apparaisse dans les manuels universitaires et dans les ouvrages de science politique et de relations internationales.  "Vendre" la Francophonie aux intellectuels et aux politiques est une nécessité. Le déficit de connaissance et de notoriété à son égard est tel qu’il faut envisager pour la Francophonie un véritable plan de communication.
Il s'agit de faire partager une "idée neuve", d'installer le rêve francophone dans les esprits. Le sentiment d'appartenance à la Francophonie sera d'autant plus fort qu'un plus grand nombre de personnes connaîtront et partageront les valeurs et l’ambition francophones.
Il faut souhaiter un renouveau très fort de la vie associative francophone, et faire en sorte qu’elle prenne fortement appui sur le volontariat. Comment mieux traduire, en effet, l’appartenance à une Communauté que par le volontariat qui est l’expression la plus achevée de la solidarité ?

Parallèlement, la Francophonie doit se saisir de la décentralisation. Pour générer un sentiment d’appartenance, elle ne peut se limiter aux seuls gouvernements, il lui faut se "décentraliser", se rapprocher des collectivités locales : communes, villes, départements, régions ou provinces ; les inciter à s'organiser en réseau et à développer des coopérations décentralisées francophones. Il faut se réjouir que ; lors de la Troisième rencontre des Régions Francophone qui se sont tenues à Bamako les 7 et 8 février dernier, le président de l’Agence Internationale des Régions Francophones, Thierry Cornillet, ait annoncé la décision de mettre en place une Agence des Régions Francophones.

Mais le soutien des populations ne sera durable que si la Francophonie connaît et répond à leurs besoins, que si elle leur est utile et constitue un facteur de mieux être. Les peuples ont besoin d’actions concrètes pour être convaincus, pour comprendre que la Francophonie les concerne. Mettre en œuvre une francophonie intégrale et au quotidien, c’est bâtir la Francophonie à la source, dans le peuple.
 
Deux chantiers sont prioritaires : l’économie et l’éducation.
Rien n’est possible sans l’économie. Il faut avoir le courage de donner à la Francophonie sa dimension économique.
On parle de culture d’un côté, d’économie de l’autre, comme si l’économie était sans influence sur la culture. Domine le monde aujourd’hui la culture du pays le plus puissant économiquement. La Francophonie est concernée par l’économie. Sans chantier économique, elle ne sera pas crédible ; il faut le dire et le redire.
Un outil économique spécifique francophone, une Banque Francophone de Solidarité, est désormais nécessaire, dédiée tout particulièrement à l’économie de la culture, à l’économie solidaire et sociale et au soutien à l'entreprenariat francophone.
Le développement économique implique, par ailleurs, éducation et formation. Rien n’est possible sans un effort exemplaire en leur faveur. Malheureusement force est de constater que la Francophonie ne dispose pas d’un opérateur crédible pour l’enseignement primaire et secondaire.

En définitive, j’ai le sentiment que la Francophonie ne peut être forte sans outils d’influence. A titre d’exemples, c’est bien grâce à l’existence de l’Université Senghor et à son département "patrimoine culturel" que la Francophonie a pu intervenir au Bénin en matière de tourisme ; de même, sans l’Agence Universitaire de la Francophonie il ne pourrait y avoir de partenariat en matière d’enseignement supérieur avec la Banque Mondiale et l’Union Européenne ; et en l’absence de TV5, le monde ignorerait la Francophonie.

La réflexion stratégique doit être poursuivie pour donner toute sa force au concept d’union géopolitique francophone. Une grande partie du chemin a déjà été parcourue et la Francophonie peut relever la tête. Elle est d’ores et déjà une puissance d’influence. L’urgence consiste maintenant à lui donner de nouveaux leviers d’actions.

Oui, il faut retrouver l’esprit des bâtisseurs, tant au niveau intergouvernemental qu’à celui de la société civile ; créer au plus vite de nouveaux outils francophones d’influence, et tout particulièrement :
• l’Outil Economique Francophone,
• l’Agence Francophone pour l’Education,
• les Volontaires de la Francophonie,
• l’Agence des Régions francophones.

Le temps n’est plus pour la Francophonie de la défensive ; c’est désormais celui de l’offensive. Il faut entreprendre en Francophonie.

Espérons que les chefs d’Etat et de gouvernement lanceront au Sommet francophone de Québec en 2008 qui coïncidera avec la célébration du 400è anniversaire de la fondation de la ville ces nouveaux chantiers indispensables à la Francophonie.

Poster un commentaire


6 + un =