Pour une francophonie vivante et populaire

"La francophonie n'est pas morte." C'est par cette phrase que Nicolas Sarkozy démarre sa chronique dans la rubrique Débats du Figaro. Un playdoyer vibrant et sincère…
Je suis heureux et fier de voir qu'une fois encore, Nicolas partage des idéaux qui sont les notres… Mais nous aurons l'occasion d'en reparler à la fin du mois de mars…
Bonne lecture ! 

 
La francophonie n'est pas morte. Au cours des déplacements que j'ai effectués ces derniers mois à l'étranger, j'ai été touché de sentir que, partout dans le monde, la langue française bénéficie d'un prestige intact. Plus que jamais, cette ferveur nous oblige. Car, face à l'anglais, le recul du français n'est pas une fatalité.
 
Au moment où nous célébrons le centenaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor, notre pays s'honorerait à rendre enfin à l'homme de la négritude et fondateur de la francophonie, l'hommage qu'il aurait dû lui rendre au moment de sa mort. J'ai été, dans la plus grande discrétion, le premier des responsables politiques français à me rendre sur sa tombe. Je veux aujourd'hui solenniser cet hommage envers celui qui a été l'un des artisans les plus dévoués du rayonnement de notre pays. C'est pourquoi, je propose l'inscription de son nom dans la crypte du Panthéon, aux côtés de celui de Charles Péguy et de Toussaint Louverture.
 
Il faut revenir à une francophonie conforme à l'esprit de Senghor. Pour cela, nous devons, nous Français, nous impliquer davantage dans cette francophonie dont les porte-parole sont parfois des auteurs étrangers, eux qui se retrouvent courageusement, mais si seuls, à la défendre, à la place de ceux qui auraient dû en être les véritables avocats : les Français eux-mêmes. Et d'abord, la jeunesse, elle qui, à ce jour, n'en perçoit pas toujours l'utilité.
 
Je veux qu'on enrichisse les programmes scolaires d'un volet francophone significatif et que, dans les villes, on crée des maisons de la francophonie, lieux vivants d'arts et de culture, où les jeunes pourront « toucher du doigt » l'originalité des cultures francophones. Il est également important de leur permettre de découvrir la richesse des cultures du Sud avec un service civique assorti d'un volet francophone.
La jeunesse française issue de l'immigration aurait toute sa place dans ce dialogue des cultures, puisque la langue française a été aussi chantée par des écrivains originaires du Maghreb et d'Afrique subsaharienne. Ce n'est pas un hasard si, parmi les derniers pays que j'ai visités, le Sénégal et l'Algérie ont offert à notre Académie deux des plus fervents amoureux de la langue française, Assia Djebar et Senghor.
 
Dans l'enseignement supérieur, il est urgent de commencer à réfléchir à la création de chaires francophones, quasi inexistantes en France, afin de retenir des talents littéraires comme Maryse Condé, Alain Mabanckou ou Achille Mbembe, qui ont fini par s'exiler aux États-Unis. Le cœur et l'avenir de la francophonie sont de moins en moins français, mais, paradoxalement, de plus en plus anglo-saxons. La francophonie sauvée par l'Amérique ? Un comble !
 
Une langue véhicule aussi un message politique, une certaine vision du monde. Lorsqu'elle est parlée par des peuples aussi divers que ceux du Liban, du Niger ou du Vietnam, la langue française est le récit d'une communauté de destin entre « nous et eux ». Je déplore que, quelquefois, elle soit confisquée par des réseaux prenant prétexte de la défense de la langue française pour promouvoir leurs intérêts privés.
Tant que la francophonie sera suspecte de tels relents, les peuples seront méfiants à son égard et seront tentés de rejeter le bébé (la France) avec l'eau du bain (la francophonie). Car, à l'origine, la francophonie n'est pas un concept colonial, au contraire. Pour ne pas être suspecté de néocolonialisme, le général de Gaulle avait commencé par s'en méfier avant que Léopold Sédar Senghor ne la définisse comme « fille de la liberté et soeur de l'indépendance », comme une « symbiose culturelle entre États ayant le français en partage et qui est d'autant plus humaine parce que d'autant plus riche, qu'elle unit les valeurs les plus opposées ».
 
En France, il faut en finir avec la vision jacobine d'une francophonie qui écrase et qui assène : il n'y a pas lieu d'opposer le français aux « langues de France ». Comment revendiquer, face à l'anglais, l'exception culturelle et ne pas l'admettre pour nos propres cultures régionales menacées de disparition ? Les langues locales, y compris, outre-mer, le créole, doivent pouvoir être proposées aux écoliers dans les territoires où un nombre suffisant de parents le souhaite.
 
Du local au global, la francophonie franchit allègrement les frontières, mais sans toujours savoir où elle va. Nous devons l'imaginer comme un moyen pour la langue française de tenir tête à l'anglais sans complexe. Cela suppose que nos administrations s'adressent aux organismes internationaux en français et que le français, langue du droit, soit la langue de référence des textes européens.
 

L'élargissement vers l'est de l'Union ne doit pas remettre en cause notre partenariat privilégié avec les pays du Sud. En ce sens, la ratification, par la France, il y a quelques jours, de la Convention internationale pour la diversité culturelle, doit permettre qu'à côté du français, les langues locales aient droit de cité, notamment en Afrique : malgré ses difficultés actuelles, le continent noir peut, par ce dynamisme linguistique hérité de son histoire précoloniale méconnue, apporter une contribution précieuse à la production des valeurs universelles.
 
Nicolas Sarkozy

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