La France n’acceptera plus que l’aide publique au développement devienne une prime à la mal gouvernance. Le président de la République française a été catégorique sur ce point, en répondant par écrit aux questions que nous lui avons envoyées via l’ambassade de France à Dakar. Lui, qui réserve ce jeudi au Sénégal sa première visite en Afrique noire depuis son élection à la magistrature suprême, se déclare soucieux de ‘moderniser les relations qu’entretient la France avec ses partenaires africains, d’arriver à la responsabilisation de chacun dans un partenariat étroit, mais exigeant.
Le Président français prône de chasser « les vieux démons du clientélisme, du paternalisme et de l’assistanat ». Il sera sans doute beaucoup question de cette nouvelle vision de la coopération entre la France et l’Afrique dans le discours qu’il prononcera ce jeudi après-midi devant des représentants de la société sénégalaise, dans le grand amphithéâtre de l’Université Cheikh Anta Diop.
Wal Fadjri : Ministre de l’Industrie et des Finances, vous aviez été l’artisan de la lutte contre la délocalisation des services, notamment des Centres d’appels vers les pays africains. Aujourd’hui, quelle est la position du président de la République française sur cette question ?
Nicolas Sarkozy : Je n’ai pas changé d’avis. Vous n’imaginez pas que le président de la République française encourage la délocalisation d’activités existant en France. Ma réaction en tant que ministre de l’Economie et des Finances portait sur l’absence de règles et le désordre dans lequel s’opéraient ces délocalisations. Je pense qu’aujourd’hui, on y voit plus clair et je constate que les télé-services, spécialement les centres d’appels, se développent partout, en France, au Maghreb, en Afrique occidentale, spécialement au Sénégal. Dès lors qu’il s’agit de créer de nouvelles activités, le problème se pose différemment. Le Sénégal a de vrais atouts dans ce domaine, à commencer par la francophonie, et doit les valoriser. A la demande du gouvernement sénégalais, la coopération française s’apprête d’ailleurs à envoyer une mission d’experts au Sénégal pour aider à la mise en place du cadre légal nécessaire à leur développement. Je pense plus particulièrement à la législation sur la protection des données personnelles dont l’absence empêche, pour l’instant, les centres d’appel sénégalais de travailler durablement avec des entreprises européennes.
Wal Fadjri : Partagez-vous le constat d’Anthony Bouthelier, président délégué du Conseil des investisseurs (français) en Afrique noire (Cian), selon lequel, en Afrique francophone, ‘notre problème n’est pas d’identifier de nouveaux investisseurs privés, mais d’empêcher ceux qui sont là de partir’ ?
Nicolas Sarkozy : Ce constat, qu’il faudrait restituer dans son contexte et ne pas généraliser, traduit d’abord, me semble-t-il, la demande des entreprises, que celles-ci soient françaises ou sénégalaises, de bénéficier d’un environnement des affaires le plus favorable possible. Sinon elles vont naturellement investir dans les pays où les marchés sont les plus porteurs et les conditions les plus attractives. C’est la loi de la mondialisation. Il faut attirer les entreprises et les investissements étrangers. Cela vaut pour le Sénégal comme pour la France et tous les pays. Je sais que le Sénégal a une politique ambitieuse à cet égard. Je ne peux qu’encourager cette volonté de tendre vers un environnement des affaires de classe internationale. J’observe d’ailleurs que de nombreuses entreprises françaises investissent actuellement au Sénégal, dans le ciment, dans les télécommunications, dans l’agro-industrie, dans les services, voire dans les mines avec le groupe européen et mondial Arcelor Mittal qui vient de signer des conventions pour l’exploitation du fer.
Wal Fadjri : Comment concevez-vous la coopération entre la France et l’Afrique ? Et quel sort sera réservé aux sommets France-Afrique ? Seront-ils maintenus dans leur configuration actuelle ou subiront-ils des changements ?
Nicolas Sarkozy : La France a noué au fil du temps une relation particulière avec l’Afrique et je souhaite que nos relations avec l’Afrique soient une des orientations prioritaires de la politique étrangère de la France car je suis intimement persuadé que la France et l’Afrique, l’Europe et l’Afrique ont un destin commun. Aujourd’hui, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je veux entretenir avec l’Afrique des relations amicales, équilibrées et décomplexées, reposant sur deux conditions essentielles : une volonté commune et un respect mutuel. La relation de la France avec l’Afrique est forte, spéciale, car la France est la meilleure des passerelles entre les continents africain et européen, mais cette relation ne peut pas être exclusive. J’ai le souci de moderniser les relations qu’entretient la France avec ses partenaires africains, d’arriver à la responsabilisation de chacun dans un partenariat étroit, mais exigeant et d’en chasser les vieux démons du clientélisme, du paternalisme et de l’assistanat. Sur les sommets Afrique-France, il faut en discuter avec nos partenaires africains, car la France n’entend pas décider seule. Dans l’immédiat, je constate que cette formule que la France a initiée avec le groupe des pays francophones, avant de l’élargir progressivement à l’ensemble du continent, est maintenant reprise par d’autres partenaires de l’Afrique, notamment par l’Union européenne.
Wal Fadjri : La présence permanente des bases militaires françaises en Afrique est contestée non pas par les autorités africaines, mais par une bonne partie de leurs populations. La France va-t-elle, malgré tout, maintenir ses bases militaires en Afrique ? Et dans quelle proportion ?
Nicolas Sarkozy : Il me semble que la contestation que vous évoquez, est très localisée et n’est pas sans rapport avec une instrumentalisation politique. Votre question m’offre l’occasion de réaffirmer une évidence : la France ne maintiendra jamais ses bases contre l’avis des pays qui accueillent ses bases. Je pense néanmoins qu’il faut clarifier les objectifs d’une telle présence et, si besoin est, son cadre juridique. Le Sénégal a renégocié en 1974 l’accord de 1960. D’autres pays ne l’ont pas fait alors que ces accords comportent des clauses aujourd’hui caduques et anachroniques comme l’accès aux matières premières ou des commandements communs. Je pense également qu’il est nécessaire de donner la plus grande transparence aux droits et obligations réciproques de ces accords. La guerre froide est finie et la mission des forces pré-positionnées a beaucoup évolué. Je vous rappelle que le dispositif militaire français en Afrique a désormais pour principale mission d’appuyer les efforts de l’Union africaine pour construire une architecture de paix et de sécurité et soutenir la montée en puissance des forces africaines en attente pour permettre au continent africain de garantir lui-même sa sécurité. On ne saurait exclure que la réalisation de cette mission entraîne des ajustements à l’avenir.
Wal Fadjri : Le secrétaire d’Etat français chargé de la Coopération et de la Francophonie a donné l’assurance, mercredi dernier, que l’aide de la France au développement ne connaîtra pas de diminution. Va-t-elle, pour autant, augmenter ? Si oui, dans quelle proportion ?
Nicolas Sarkozy : La France a pris des engagements précis en matière d’Aide publique au développement, notamment dans le cadre de l’Union européenne. Elle entend naturellement les respecter. Je ne suis pas en mesure, à ce stade des discussions budgétaires, de vous indiquer précisément quel sera le volume d’Apd pour 2008. Ce qui est clair, dès à présent, c’est que le maintien du niveau actuel signifiera dès 2008 une augmentation des crédits budgétaires et donc de l’effort des contribuables français, car le plus gros de l’initiative d’annulation de la dette des pays les moins avancés a déjà été effectué. L’accroissement de cet effort ne pourra être justifié pour le contribuable que si nous sommes capables, vous et nous, de démontrer que cet effort est efficace. Davantage d’aide doit impliquer davantage d’efficacité, de part et d’autre. Nous ne devons plus accepter que l’aide au développement puisse devenir une prime à la mauvaise gouvernance.
je pense que Sarko a du chemin à faire sur l'Afrique. C'est un continent très complexe et il risque de se prendre les pieds dans la natte. Quant à sa rupture, je ne la vois pas à côté de Bongo qui est au pouvoir depuis 40 ans quand même!!!
Répondre
« Rendre visite à un vieux président gabonais indéboulonnable et visé par une enquête sur l'origine de sa fortune investie en France, au lendemain d'une « adresse aux jeunes d'Afrique », n'était pas le meilleur moyen de rompre avec plus de quarante ans de « Françafrique ». »
Répondre
Bonjour,
je conçois que la rupture avec la Francafrique ne soit pas d'une grande visibilité depuis la France. Mais en matière de politique étrangère, il faut d'abord jouer avec le temps et avec le principe de réalité, la fameuse realpolitique !
Je c rois aussi qu'il faut du temps pour appréhender l'Afrique, ses désirs, ses besoins, ses envies et trouver, avec elle, des voies nouvelles. Tout ne se décidera pas depuis Paris, heureusement !
Voici l'extrait d'un papier paru sur http://www.afrik.com... A lire !
Pour Alpha Oumar Konaré, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), qui s’exprimait sur les antennes de RFI, les propos de Nicolas Sarkozy au Sénégal ne constituent pas le genre de rupture Ÿ souhaité. A Dakar, la seule véritable rupture dont Nicolas Sarkozy pourrait se targuer s’assimile à un fossé entre les idées et la réalité du terrain. On ne peut pas exhorter les jeunes à rester chez eux et prôner en même temps l’immigration choisie. Si les Africains les mieux formés s’en vont, qui restera pour développer le continent ? Les discussions que nous avons eues (avec Abdoulaye Wade, le chef de l’Etat sénégalais) m’ont fait évoluer sur une question dont je n’avais pas compris la profondeur, la sensibilité et la portée Ÿ, avouera-t-il lors de sa conférence de presse conjointe avec Abdoulaye Wade. Cette leçon, le nouveau président français la doit certainement à la sagesse que lui confère les 82 printemps de son homologue.
Je suis certain que (Nicolas Sarkozy) souhaite la rupture (…), a poursuivi Alpha Oumar Konaré. Je pense que pour l’aider dans la rupture, il a besoin de mieux connaître l’Afrique Ÿ. Souhaiter la rupture est une chose, en avoir les moyens ou le croire en est une autre. Nicolas Sarkozy ne saurait être l’acteur d’un changement dans des relations qui ont déjà mué d’elles-mêmes par la force des choses. Si (l’)appel de (Nicolas Sarkozy) nous interpelle (…), c’est pour qu’on se dresse, et que nous-mêmes prenions nos affaires en mains Ÿ pourraient-ils, eux aussi, conclure à l’instar d’Alpha Oumar Konaré.
Répondre
Bonjour Erick,
pour rebondir sur ton article, voici un extrait de notre quotidien national L'Orient Le Jour sur la visite de Sarko en Afrique.
L'Orient Le Jour
Dans un entretien publié hier dans le quotidien gouvernemental gabonais L’Union, Nicolas Sarkozy a qualifié d’ anachronique Ÿ le concept de précarré Ÿ, utilisé pour décrire la zone d’influence particulière de la France sur ses ex-colonies d’Afrique et dont le Gabon incarne l’un des symboles. Je ne considère pas que les anciennes colonies françaises puissent être décrites comme un précarré. C’est un concept anachronique qui ne répond plus ni à la réalité, ni au souhait de la France, ni à celui des pays concernés Ÿ, a déclaré M. Sarkozy. Ce concept renvoie même à un paternalisme que je rejette et qui a fait beaucoup de tort à la relation entre la France et l’Afrique. Au nom de quoi, 47 ans après leur indépendance, ces pays devraient-ils renoncer à tirer profit des opportunités offertes par d’autres partenaires ? Ÿ a-t-il estimé. Il a souligné que la relation privilégiée Ÿ entre la France et le Gabon devait être modernisée, adaptée aux évolutions du monde Ÿ. Le monde change, le Gabon change. Nos relations doivent changer aussi Ÿ, a-t-il poursuivi.
La veille, lors de son étape dakaroise, le président français a exposé sa vision d’un partenariat Ÿ renouvelé entre la France et l’Afrique, appelant celle-ci à ne pas ressasser le passé Ÿ colonial et à s’engager vers la bonne gouvernance.
Répondre
Puisqu'on en est à la revue de presse et juste pour le fun, la déclaration de Jean-Marie Bockel, secrétaire d'Etat à la Francophonie parue ce matin dans le JDD
JDD : JDD
La visite à Omar Bongo, le chef de l'Etat gabonais au pouvoir depuis quarante ans et symbole de la Françafrique, incarne-t-elle vraiment la rupture prônée par Nicolas Sarkozy ?
J-MB : Il n'était pas envisageable que le chef de l'Etat fasse sa première tournée sans aller voir le doyen des chefs d'Etat, président d'un pays en paix. Il n'y a pas au Gabon un certain nombre d'atteintes aux droits de l'homme qui existent dans d'autres pays africains. Bien sûr tout pays est perfectible, le Gabon aussi. Mais il n'est pas la caricature que parfois on en fait.
Répondre
D'abord, si Nicolas Sarkozy devait attendre de trouver un pays africain parfaitement aux normes démocratiques, je pense qu'il attendrait très très longtemps.
Sur la visite au Gabon, c'est une visite qui a certes troublé, mais il faut savoir que le Gabon est un pays très complexe. Ce n'est pas un pays comme le Sénégal ou le Mali. Et le fait que Bongo reste au pouvoir pendant 40 ans sans être véritablement bousculé traduit cette complexité du pouvoir gabonais. C'est un système où toutes les ethnies sont représentées dans le pouvoir. Et malgré la durée de Bongo, le Gabon est un pays resté très stable. Ce qui est très rare dans cette région de l'Afrique Centrale si on en juge l'état des pays voisins que sont le Congo ou la Centrafrique entre autres.
Cela dit, je crois savoir que la visite de Sarkozy dans ce pays a été placée sous le signe de l'écologie avec une reconversion de 20% de la dette publique gabonaise dans la protection de la forêt. Quand on sait que les chinois ont pris d'assaut cette forêt rasant à tout va et balançant des mines les yeux fermés, à la recherche de ressources sans respect des engagements pris avec le pouvoir gabonais, je pense que la présence de Sarkozy dans ce pays ne doit point soulever de vagues.
On peut faire des ruptures sans déchirures. Et c'est tout l'enjeu.
Répondre
la caricature elle se trouve au sénégal et encore on n'a encore rien vu…
http://www.blogs-afrique.info/faits-divers/
Répondre
La complexité des relations franco-africaines ne cesse de donner le tournis à bon nombre d'observateurs. S'intéressant au sinueux parcours africain de l'ancien président de la République française, en l'occurrence François Mitterrand, Gaspard-Hubert Lonsi Koko, à travers la vie politique de cet illustre personnage, décortique avec minutie les réseaux mis en place par Jacques Foccart et entretenus par quelques africanistes de gauche ; il nage dans les eaux troubles de la Françafrique pour mieux expliquer la puissance des lobbies qui imposent la continuité dans les rapports entre la France et l'Afrique.
À l'heure où l'actualité africaine est entre autres dominée par les conflits, l'exode de nombreux jeunes, la lente « colonisation » de ce continent par la Chine, d'aucuns ne cessent de s'interroger sur le devenir des relations franco-africaines après François Mitterrand et Jacques Chirac.
Cet ouvrage donne quelques pistes très utiles à la compréhension des futures relations franco-africaines. On y évoque également un lien de près de quarante-cinq ans entre un homme – que d’aucuns qualifient de « mythe errant » – et tout un continent, des méandres et des écueils qui ont enseveli des tas de secrets dans des marigots africains…
Titre : Mitterrand l'Africain ?
Editeur : Les Editions de l'Egrégore (http://www.editions-egregore.com)
Parution : 23 octobre 2007
Pagination : 232 pages
ISBN : 978-2-916335-03-2
Format : 14×22,5 cm
Prix : 18 euros
L'auteur :
Membre du Bureau fédéral du Parti Socialiste de Paris et président du club de réflexion Enjeux Socialistes et Républicains, Gaspard-Hubert Lonsi Koko reste fidèle à ses engagements humanistes. Après Un nouvel élan socialiste et Le demandeur d’asile, il poursuit la réflexion sur les rapports Nord-Sud avec Mitterrand l’Africain ?.
Site personnel : http://www.lonsi-koko.net
Répondre