Donner du sens à une station de métro…

Guy Môquet. Une station de la ligne 13 du métro parisien reliant la commune de Saint Denis à celle de Montrouge. L’une est communiste pour encore quelques mois (j’espère), l’autre est passée du rouge à la droite en 1994. Bref, une station sans âme pour la majeure partie des parisiens. Tout comme ces plaques de rues qui tentent de faire sortir de l’anonymat des pans entiers de notre histoire.
Et si, aujourd’hui, on avait donné du sens à une station de métro ?

Lire ou ne pas lire la lettre de Guy Môquet ? C’est la question -quasi existentielle- que ce sont posés bon nombre d’enseignants ce matin. Obéir ou désobéir ? (J’ai même lu sur certains sites résister !) Obéir ou désobéir au Président ? Obéir ou désobéir au SNES, le syndicat majoritaire classé (très) à gauche ? Obéir ou désobéir à sa conscience ? Beaucoup auraient peut-être aimé demander conseil à leur « petite maman chérie ».
La palme de la mauvaise foi revient à un courageux anonyme, sur le site de Rue89 (c’est drôle de voir que systématiquement, sur les blogs, les commentaires extrêmes, voire même très cons, sont anonymes) : « La lecture publique et obligatoire de la lettre de Guy Môquet par les enseignants est un signe d’obscène propagande nationaliste, et les enseignants sont utilisés sans vergogne, larmoyage honteux. Nous sommes tous des Guy Môquet, résistons comme il l’a fait. Profs de tous bords, résistez, vous aussi. C’est le seul message des résistants qui ont payé notre ancienne liberté de leur vie. »
Où là, diable, comme il y va, ce courageux résistant de la plume… Je lui conseille de relire le dictionnaire de l’Académie Française à la lettre N. N comme nationalisme ou N comme nation. Il verra qu’il y a loin de la définition à la pensée sous-jacente qui déborde de son commentaire.

C’est vrai, comme le fait remarquer Versac sur son blog , que cette lettre, sortie des livres d’histoire par Henri Guaino, la plume du Président, souffre d’un rabachage permanent. Je passe sous silence la c… de Bernard Laporte de la lire au XV de France. J’ai moi même hésité à la lire à mes collaborateurs ce matin (mais non je blague, quoique !).
Mais si l’on y regarde de plus près, cette polémique est loin d’être innocente. Koz sur son blog met le doigt là ou ça fait mal : « Sans disposer d’autres outils de veille que ma propre mémoire, il me semble que, exception faite du jour de la cérémonie au bois de Boulogne et de cette discutable lecture en début de Coupe du Monde, on n’a guère entendu que les centristes, socialistes, communistes, et leurs relais médiatiques, revenir en boucle sur cette lettre. Passons sur le fait que ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui a lu cette lettre, ce n’est pas très important. Mais vous-mêmes, l’avez-vous entendu tant lire cette lettre, si ce n’est pour évoquer “la polémique” ? Bref, à l’exception de l’opposition, qui donc a ainsi ressassé cette lecture ? »

Pour tout vous avouer, la première fois où j’ai entendu la lettre de Guy Môquet, c’était au meeting d’investiture de Nicolas Sarkozy. Je puis vous dire que dans l’ambiance électrique de cette réunion, les mots de cet adolescent ont résonné non comme une vision morbide de l’histoire mais comme une promesse. Car n’en déplaise aux bonnes consciences, je crois que la France, et les Français, ont besoin de héros, de personnalités engagées, d’Histoire et d’histoires dans lesquelles ils peuvent à la fois de trouver et se retrouver.
Certains parleront de culte du passé, de culte dépassé. A ceux-ci, je dirai que le peu qu’ils savent d’eux même, et d’où ils viennent, est souvent lié à une histoire. Celle d’un parent ou d’un grand-parent, parfois présent par un nom gravé sur un monument aux morts. Mon grand-père, déclaré mort pour la France alors qu’il était en résistance, me racontait souvent ses combats contre « les boches ». Pour après me parler du monde à reconstruire. De l’après. parce que le passé sert aussi de point de départ… C’était le message de sa vie. Il a démarré la mienne.

Le SNES, syndicat engagé s’il en est, explique sur son site internet qu’il « ne peut cautionner cette entreprise commémorative décidée par le seul chef de l’exécutif. Il n’accepte pas que les enseignants y soient associés malgré eux, ne serait-ce qu’en suspendant leurs cours pour accompagner les élèves à une cérémonie qui aurait lieu dans l’établissement. »
Car c’est là où le bât blesse. Sarkozy aurait du, comme il se doit dans toute cogestion (chère à tous les ministres de l’Education Nationale) demander aux syndicats leur assentiment. Baiser la babouche avant d’officialiser leur bon vouloir. Crime de lèse SNES, Sarko a osé décider seul. Graine de dictateur ! Et nationaliste en plus ! Pour un peu, on le traiterait de facho. On n’en est pas loin, sauf que le sujet est la résistance. Et la victime communiste. Ils n’ont donc pas osé…
Polémique engagée je vous dit. Car en définitive, de quoi s’agit-il ? Je suis allé sur le site du ministère de l’Education Nationale. J’ai retrouvé la lettre aux enseignants en date du 2 août signée Xavier Darcos. A vous de voir si quelque chose vous choque…
« Le 22 octobre 2007, le président de la République commémorera le souvenir de Guy Môquet, cet élève résistant du lycée Carnot arrêté à 16 ans en octobre 1940, puis fusillé le 22 octobre 1941 après avoir adressé, la veille de sa mort, une lettre poignante à sa mère. Cet épisode n’est malheureusement pas le seul moment tragique de cette période sombre, mais il fait partie des temps forts de l’histoire de notre pays et, à ce titre, mérite de servir d’exemple à la jeune génération.
La commémoration de la mort de Guy Môquet, de ses 26 compagnons d’infortune et de tous les autres fusillés est en effet l’occasion de rappeler aux élèves des lycées l’engagement des jeunes gens et jeunes filles de toutes régions et de tous milieux qui firent le choix de la résistance, souvent au prix de leur vie. Tous méritent que l’on se souvienne : ainsi Gilbert Dru, cet étudiant de lettres engagé très jeune dans le combat contre l’occupant nazi assassiné le 27 juillet 1944 par la Gestapo ; ou encore Jacques Baudry, Jean-Marie Arthus, Pierre Benoît, Pierre Grelot et Lucien Legros, élèves de première au lycée Buffon à Paris, qui furent fusillés par les Allemands le 8 février 1943 pour faits de résistance accomplis depuis l’âge de 15 ans.
Tous ces jeunes Français d’alors, passionnément attachés à la liberté au point de sacrifier leur propre vie pour défendre celle des autres, constituent un formidable exemple pour les jeunes d’aujourd’hui. Leur mémoire évoque les valeurs de liberté d’égalité et de fraternité qui font la force et la grandeur de notre pays et qui appellent le sens du devoir, le dévouement et le don de soi. » (…) « Le programme se poursuivra par une réflexion collective menée dans le cadre de la classe. On exploitera notamment les thèmes liés à la mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans les programmes d’enseignement notamment d’histoire, de lettres, de philosophie. Ce sera également l’occasion de mobiliser les équipes éducatives sur l’édition 2008 du Concours national de la Résistance et de la déportation : “L’aide aux personnes persécutées et pourchassées en France pendant la seconde guerre mondiale : une forme de résistance. »
Choqués ? Je ne le pense pas…
Suit, en pièce jointe, un fichier pdf à télécharger contenant la lettre de Guy Môquet à sa mère, celle d’Henri Bajtsztok à son professeur, celle d’Henri Fertet à ses parents, celle de Guido Brancadoro à sa famille, celle de Robert Peletier à son fils… Car ils sont nombreux à avoir jetés sur un papier quelques phrases d’amour avant d’être fusillés. Pour la France.
Témoignages poignants. Je me mets un instant à leur place. Qu’aurais-je écrit ? Aurais-je seulement eu ce courage ? Puis je pense à leurs parents. Dernier témoignage d’un fils dont la vie a seulement démarré. Un pardon aussi, dans cette lettre de Guy Brancadoro à sa famille. Il avait 21 ans. « Ce sont les Français qui me livrent, mais je crie : “Vive la France”, les Allemands qui m’exécutent, et je crie : “Vive le peuple allemand et l’Allemagne de demain”.
Que dire de plus ?
Ah si. Guy Môquet était communiste. Et alors ? Ce n’est pas parce que le PCF a durant des années cherché à cacher son attitude équivoque derrière le terme de « parti des fusillés » qu’un Président de droite ne pourrait pas honorer un jeune mort pour la France.
Comme le faisait fort bien remarquer Maurice Druon qui lui, contrairement à tous les autres commentateurs (moi compris) a vécu la résistance : « Reportons-nous à l’époque : ce qui était important, c’était de résister. Ce n’était pas de savoir si l’on était communiste ou gaulliste. Il n’est pas inutile de rappeler, de temps en temps, à de très jeunes gens qui l’ont sans doute oublié ou qui ne l’ont jamais su que s’ils vivent aujourd’hui en République, c’est grâce à des garçons comme Guy Môquet. »
Fermez le banc !

Les Commentaires ( 4 )

  1. de Marc Aurèle
    posté le 22 oct 2007

    Eh bien, on peut dire que tu t'es lâché ! En plein dans le plexus…
    Pendant ce temps, les enseignants annoncent un mouvement de grève. Sûrement pour se remettre de cette journée où il a fallu apprendre à lire !

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  2. de Bernard Valot
    posté le 22 oct 2007

    Bravo Monsieur pour ce texte ma foi bien envoyé.
    Je garde en mémoire l'intevie de Maurice Druon dans Le Figaro de ce matin…

    Le Figaro :: Comprenez-vous que certains enseignants s'opposent à la lecture de cette lettre ?
    Que veulent-ils exprimer en faisant cela ? C'est une lettre d'un garçon d'à peine dix-sept ans qui va mourir pour son pays. Il n'a d'ailleurs pas été le seul. On m'a récemment envoyé une lettre magnifique écrite pendant la guerre par un jeune homme sur le point d'être fusillé. Pourquoi s'y opposer ? Parce qu'il ne faut pas dire que nous avons été occupés de manière infâme ? Il ne faut pas dire qu'il y avait des résistants qui ont combattu cela ? Ou alors, est-ce contre le gouvernement ? Mais les professeurs sont des employés de l'État et ils doivent faire ce que le gouvernement leur demande.

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  3. de Patrick Genet
    posté le 23 oct 2007

    Le corps enseignants, ou du moins ceux qui s'en prétendent les représentants, ont freiné des quatre fers devant le souhait exprimé par le gouvernement : lire aux jeunes la lettre d'un des leurs, morts pour eux voici 66 ans. Pis, certains ont prétendu vouloir « résister »… Diantre. De quoi s'interroger : à qui peut-on reprocher d'instrumentaliser cet épisode mémoriel ? Un président soucieux, peut-être de façon parfois maladroite ou intempestive, de rassembler ses concitoyens derrière une figure historique, soucieux de leur faire partager des valeurs telles que le courage, le don de soi, l'amour de la liberté, ou un quarteron d'institutionnels du syndicalisme politique, toujours prompts à se saisir de la moindre opportunité pour rappeler au pouvoir ce que s'opposer pour s'opposer signifie ?
    Il me semble évident qu'une dose de stratégie politique participe de la mise en avant de la lettre de Guy Môquet. Est-ce une raison valable pour ne pas « jouer le jeu », dire « chiche » à celui qui ose franchir les lignes ? Le rendez-vous est manqué. Encore une fois. A trop vouloir considérer le verre à moitié vide, on en arrive à se noyer… dans un océan de médiocrité.

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  4. de farceur va !
    posté le 27 nov 2007

    bla bla

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