L’élégance du hérisson

« Marx change totalement ma vision du monde, m’a déclaré ce matin le petit Pallières qui ne m’adresse d’ordinaire jamais la parole. »
C’est par cette phrase sibylline que commence le livre que je viens de terminer. En refermant la couverture, j’avais les larmes aux yeux…

La suite de cette première phrase…
« Antoine Pallières, héritier prospère d’une vieille dynastie industrielle, est le fils d’un de mes huit employeurs. Dernière éructation de la grande bourgeoisie d’affaires – laquelle ne se reproduit que par hoquets propres et sans vices -, il rayonnait pourtant de sa découverte et me la narrait par réflexe, sans même songer que je puisse y entendre quelque chose. Que peuvent comprendre les masses laborieuses à l’œuvre de Marx ? La lecture en est ardue, la langue soutenue, la prose subtile, la thèse complexe.
Et c’est alors que je manque de me trahir stupidement.
- Devriez lire l’Idéologie allemande, je lui dis, à ce crétin en duffle-coat vert sapin. »

Ce livre, « L’élégance du hérisson », écrit par Muriel Barbery, est un roman à deux voix. L’une se prénomme Renée, une concierge d’un hôtel particulier de la rue de Grenelle à Paris « veuve, petite, laide, grassouillette ». Une concierge qui cache bien son jeu : elle essaie d’avoir l’air concierge et elle est, en fait, lettrée, érudite et fine. L’autre se prénomme Paloma. Fille d’un député (socialiste), surdouée, elle porte un regard désabusé sur le monde, sur son monde. Elle a décidé de se suicider le jour « où elle quittera l’enfance », le jour de ses 13 ans. En attendant, elle écrit et recherche un moment de beauté, quelque chose « qui vaut la peine de vivre ».
En fait, ce sont deux solitudes qui, au fur et à mesure que certains événements vont se produire dans l’immeuble où elles habitent, vont peu à peu sortir de leur bocal, se transformer, se métamorphoser, renaître.
Les apparences sont trompeuses : c’est l’un des messages simples de ce récit, écrit dans un style vraiment piquant, drôle, léger, cynique parfois et érudit. Une merveilleuse galerie de portraits de ces habitants d’abord centrés sur eux-mêmes et le fameux « qu’en dira-t-on ». Choses vues… Je vous recommande notamment la famille de Paloma, bobos fortunés gauche caviar, coincés entre politique et psy. Tordant de rire. Tiens, j’en connais… Mais rassurez-vous, chers lecteurs de gauche, il y a aussi l’aristo guindée (j’en connais aussi !).
Le roman se lit vite tant ces deux voix qui se répondent, et convergent, nous emmènent vers le sens de la vie. De nos vies. Et l’absence de regard porté à l’autre.

L’auteur; normalienne, professeur de philosophie à Saint-Lô (Manche), a 37 ans. Muriel Barbery avait publié en 2000 chez Gallimard un premier roman, « Une gourmandise » (superbe livre !).
Le plus drôle, c’est que « L’élégance du hérisson » avait été publié à 4 000 exemplaires au printemps 2006. Il approche désormais des 200 000 ventes, après avoir été réimprimé 32 fois !

L’élégance du hérisson, de Muriel Barbery. Paru à la NRF (Gallimard), 20 euros

Les Commentaires ( 2 )

  1. de Aude Challe
    posté le 7 oct 2007

    Merci pour ce conseil de lecture. Jusqu'à présent, je n'ai jamais été déçue par vos recommandations.

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  2. de Fraisetagada
    posté le 9 oct 2007

    ….j'avais les larmes aux yeux en refermant ce magnifique livre…ou plutôt non, j'étais en larmes !
    Incroyablement touchant ce livre se lirait presque d'une traite.
    Moi aussi je vous le conseille vivement.

      Répondre

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