Bâtarde !

Dieu que ce mot est laid. Surtout lorsqu’il est jeté au visage d’un enfant. Mais au-delà du qualificatif, de l’insulte faire à la jeune Asya, il y a là tout le symbole de cette Turquie d’aujourd’hui, enfant naturel d’une république et d’un empire qui oublie son passé et tente de se construire un avenir.
Je viens de terminer « La bâtarde d’Istambul ». Je vous raconte… C’est à deux pas de chez nous. Et puis, je vous emmène place Bellecour.

Elif Shafak, 36 ans, est l’un des écrivains turcs les plus en vue. Dans son pays, où la fondation de l’Etat laïc en 1923 a remis les compteurs et les mémoires à zéro, la publication de « La Bâtarde d’Istanbul » lui a valu un procès pour avoir « dénigré l’identité nationale turque » sur la base de l’article 301 du Code pénal. Ce dont on l’accusait ? C’était d’avoir tout simplement parlé du génocide arménien, risquant ainsi une condamnation à trois ans de prison. Heureusement, grâce à l’énorme soutien dont elle a bénéficié, elle a été acquittée en septembre 2006.

« La Bâtarde d’Istanbul » (Editions Phébus) pose une question essentielle : que sait-on vraiment de ses origines ? Ce roman raconte le télescopage de deux familles : les Kazanci, élevés dans un pays où l’histoire officielle démarre à la fondation de la République par Mustafa Kemal Atatürk en 1923 et nie l’existence même des massacres arméniens entre 1915 et 1917, et les Tchakhmakhchian, partis d’Istambul pour les USA après le génocide et vivant dans le souvenir.
C’est un plaisir d’entrer dans ce roman, d’être brutalement happé dans le tumulte boueux d’un Istanbul détrempé, entre deux éclaircies, pour ensuite se faire lessiver par l’énergie orageuse des Kazanci. Six femmes toujours aimantes, mais jamais d’accord, que ce soit sur la politique, l’histoire, la religion ou le sexe. Presque pas d’homme. Père, fils ou mari, aucun n’en a réchappé depuis quatre générations, tous précocement frappés par on ne sait quelle malédiction. Et quand, par un mariage imprévu, cet univers croise celui des Tchakhmakhchian, pratiquement tous les conflits les plus douloureux de la société turque s’invitent dans le roman, et tombent entre les mains des personnages. Plus particulièrement entre celles de deux adolescentes, l’avenir de ces deux familles, Asya la « bâtarde », la plus jeune des Kasanci, et Armanouch, la cadette des Tchakhmakhchian, jeune Arménienne-Américaine découvrant avec Asya Istanbul et l’histoire de ses ancêtres.
Et l’aller-retour est permanent entre Asya et Armanouch. La première découvre qu’il y avait un avant, et que la mémoire permet de se construire. L’autre, élevée dans le passé et la rancœur, si lourd soient-ils, prend conscience qu’il y a un présent et un avenir. Et que la mémoire permet aussi de se détruire.

Une bonne partie de l’histoire se déroule à Istambul. On y redécouvre la douceur de vivre de Constantinople, son accueil, sa double culture, de part et d’autre du Bosphore, mais aussi toutes les contradictions de cette Turquie moderne si bien décrite par Amin Maalouf.
« Elle est porteuse d’un vieux rêve aujourd’hui malmené, celui d’un Orient aux langues et aux croyances multiples, celui de cette galaxie d’étoiles resplendissantes qui avaient pour noms Alexandrie, Salonique, Smyrne, Beyrouth, Bagdad, Sarajevo et d’abord, à tout seigneur tout honneur, la sublime et millénaire Constantinople (…) A présent, chaque étoile de cette galaxie est ternie et souillée par une tragédie récente.
L’intranquilité de la Turquie est intense puisque le pays s’est détourné de son passé ottoman et qu’il a renoncé à sa primauté au sein du monde musulman pour s’identifier à l’Europe, alors que celle-ci ressasse encore et encore le souvenir des janissaires sous les murs de Vienne. En cent ans, le passé et été éviscéré et l’avenir aboli. (…) Que faire lorsque l’on a derrière soi l’abîme et devant soi une porte fermée, ou faussement entrouverte ? »

C’est la toute la question que Nicolas Sarkozy propose d’aborder avec la création de l’Union Méditerranéenne. « C’est à la France, européenne et méditerranéenne à la fois, de prendre l’initiative avec ses partenaires du Sud de l’Europe, d’une Union Méditerranéenne comme elle prit jadis l’initiative de construire l’Union européenne. Cette Union Méditerranéenne devra prendre en charge les questions de lutte contre le terrorisme, la gestion concertée des migrations, le développement économique et commercial et la promotion de l’Etat de droit dans la région. »
Inch’Allah !

Après un, des livres. « Place aux livres », le salon du livre de Lyon, se tenait place Bellecour. Tour de stands cet après-midi. Je croise Jacques Bruyas, l’occasion de nous souvenir, avec quelques auteurs, de la création de « l’ancêtre » de ce salon, il y a 11 ans, par Jacques et moi. Les deux premières éditions avaient eu lieu au Grand Café de Genève, avenue de Saxe. Et le vin blanc coulait à flot grâce à l’ami Alain Barge, propriétaire de l’établissement. Une atmosphère peu propice aux signatures parfaitement droites !

Puis les éditions suivantes se déroulèrent sous tente, place Maréchal Lyautey, puis au Palais des Congrès. Et le vin blanc était toujours là… C’était déjà le salon des maisons d’édition, sur le thème « Histoire, histoires ». Chacune présentait ses auteurs. Tout en n’oubliant pas les courageux, souvent poètes, qui s’éditent à compte d’auteur.
Et puis le salon, tout comme les Fêtes Consulaires, a déménagé sur ordre place Bellecour (merci Gérard Collomb, si respecteux des initiatives prises en arrondissement !) où il est organisé de façon très professionnelle. Il manque en revanche le vin blanc, Gérard Chauvy s’en est plaint amèrement !
J’ai croisé dans les travées David Kimmelfeld, premier adjoint PS au maire du 4è dont il se murmure en ville qu’il pourrait bien devenir le maire de son arrondissement. En cas de victoire de la gauche, bien sûr ! Il était en arrêt devant des livres grivois aux titres explicites… Il a tenté de me faire l’article. Mais en vain !
Hubert Julien-Laferrière, le maire du 9è arrondissement, parcourait des livre de montagne. Lui qui taquine les sommets, piolet en main, il devait sûrement rêver à ses prochaines courses. Dominique Perben était également présent, avec son épouse Corinne. Les bras chargés de livres. Des romans, des nouvelles et un livre de cuisine. La plupart édités par des entreprises régionales.
Tiens à propos, j’ai acheté le même livre que lui, « La cuisine à remonter le temps » de Patrick Rambourg et Michel Le Louarn aux éditions Garde-Temps. Particularité, les photos sont imprimées avec de l’encre qui libère les saveurs des épices photographiées. Ou quand les 5 sens se rejoignent ! J’ai également acheté « Lyon, emprises et empreintes » publié par EMCC et la Renaissance du Vieux Lyon, « L’ombre du 8 décembre » de Christophe Cornillon à La Taillanderie, une grande maison implantée dans l’Ain. C’est un roman noir. J’ai eu le plaisir de revoir Sonia Delzongle, journaliste au Progrès et peintre. L’un de ses textes, primé aux Joutes Littéraires organisées dans le 6è arrondissement, vient de sortir, enrichi, dans la collection En attendant le bus (Jacques André Editeur, installé dans le 6è arrondissement). Le titre, « La journée d’un sniper ».
Enfin, je n’ai pu m’empêcher de prendre le livre de Bernard Lecomte, bourguignon comme moi (il était venu avec ses bouteilles de Chablis !). Ancien journaliste de L’Express et du Figaro Magazine, il se consacre désormais à l’écriture. Son dernier livre, « Blog à part » raconte son expérience de blogueur . Politiquement incorrect. Normal, il est aussi élu local…

Les Commentaires ( 5 )

  1. de romain blachier
    posté le 10 nov 2007

    « Batarde, Dieu que ce mot est laid. Surtout lorsqu'il est jeté au visage d'un enfant. »

    la chose est de plus en plus possible avec les test adns…mais ton post ne parlait pas de ça?

    en tout cas il y a en ffet des choses intéressantes à Place aux Livres…Dire que Genin dit qu'il n'y a rien pour le livre à Lyon…

    bon ok je suis taquin car en fin de grippe et en plus un magnifique lieu décidé à la gastronomie fine vient de s'ouvrir à côté de chez moi avec une belle inauguration.De quoi taquiner d'autant que les clubs français se débrouillent bien ce wee-end dans les compétitions européennes de rugby.

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  2. de romain blachier
    posté le 10 nov 2007

    oups je suis taquin et j'ai mangé mon commentaire en partie puisque j'ai oublié deux choses éthyliques

    1 merci pour ta recette de grog, fort efficace.

    2 y'avait du vin blanc, contrairement aux plaintes que tu as reçues, par la confrérie des francs-machons.Mais ton collégue en milllonie Broliquier a fait des pieds et des mains pour avoir de l'eau au buffet…

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  3. de Erick Roux de Bézieux
    posté le 10 nov 2007

    Tu fréquente trop les inaugurations Romain… Moi j'y étais aujourd'hui, avec le peuple ! lol !
    Mondain Romain, comme aurait pu le dire Jean-Yves !

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  4. de romain blachier
    posté le 10 nov 2007

    Tu me prêtes une vie mondaine que je n'ai pas…

    Pendant que tu fréquentais les sommités politiques lyonnaises (je ne manquerais pas d'interroger Kimelfeld sur sa polissonnerie littéraire)je regardais Edimbourg-Toulouse dans un cani de la rue Passet

    Pour paraphrase Edmondo de Amicis dans
    Cuore « L’éducation d’un peuple se juge avant tout dans un bar. »

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  5. de Corinne Arquillière
    posté le 15 nov 2007

    Bonsoir,
    en parlant de Turquie, je me permets de parler de ce film extraordinairement prenant qui est « Auf der anderen Seite » de Fatih Akin, et qui passait en avant première au Pathé Lyon lundi dernier, film primé au festival de Cannes et qui nous pousse à comprendre la Turquie et le bien fondé de son entrée en Europe. le titre français est « De l'autre côté », je le conseille vivement…

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