L’apartheid, à un arrêt de train de Paris

La scène se passe dans une plaine de jeux. Une mère joue avec son enfant, peu importe leurs prénoms. L’enfant est dans le bac à sable. Sa mère lui parle. Faute ! Et exclusion du parc, manu militari. Faute ? Avoir parlé en français. Car les francophones n’ont pas le droit de pénétrer dans ce jardin public. Même pour jouer. Décision du bourgmestre.
Cette scène incroyable s’est produite à un arrêt de Thalys de Paris. Dans la commune de Liedekerke. A 22 kilomètres de Bruxelles. En pleine région bilingue.Cet arrêté municipal, heureusement annulé depuis quelques jours face à la pression européenne, est révélateur de la bataille qui oppose, en Belgique, francophones et flamands. Certains penseront que cette municipalité est d’extrême droite. Même pas… Luc Wynants, le bourgmestre, est membre des démocrates chrétiens flamands. Le parti de l’actuel premier ministre, Yves Leterme, qui, le 17 août 2006, dans une interview à Libération, déclarait à propos des francophones vivant dans des « communes à facilités », c’est-à-dire pratiquant le bilinguisme qu’ils « ne sont pas en état intellectuel d’apprendre le néerlandais, d’où la prolongation de ce statut d’exception. »
Un discours qui (d)étonne une semaine après la journée du 20 mars qui célèbre la Francophonie dans le Monde. Et en Belgique aussi…

Ce rejet, soigneusement entretenu par un nationalisme flamand toujours plus vivace, sape les fondements même du royaume. D’ailleurs, la « chasse aux francophones » est ouverte depuis longtemps. Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, raconte dans l’édition du 29 mars du quotidien:
« Pour préserver leur culture qu’ils estiment menacée, les Flamands font tout pour empêcher la langue française de franchir la frontière linguistique ou de s’étendre hors de Bruxelles. Ainsi, la ville de Merchtem, à 11 kilomètres de Bruxelles, a interdit en 2006 l’usage du français dans les écoles, que ce soit en cours, entre les enfants dans la cour de récréation ou dans les relations parents-enseignants… De même, Hal vient de prohiber les panneaux de signalisation routière en français. Plus grave : Zaventem, Vilvorde, Zemst et Hoeilaart ont décidé de réserver l’acquisition de terrains communaux aux seuls néerlandophones ou à ceux qui suivent des cours dans des écoles agréées. La région a aussi adopté une loi (wooncode), début 2006, qui réserve les logements sociaux à ceux qui parlent néerlandais ou qui s’engagent à apprendre le néerlandais. »

Il y a quelques semaines, face aux caméras de la télévision, un bourgmestre de la région bruxelloise était interdit de siéger avec son conseil. Leur faute : tenir un conseil municipal en français ! La région flamande a également refusé de nommer les bourgmestres de Linkebeek, de Kraainem et de Wezembeek-Oppem, élus démocratiquement en octobre 2006, parce qu’ils avaient osé envoyer à leurs électeurs francophones des convocations… en français !

Le Conseil de l’Europe a déjà condamné à trois reprises la Flandre pour le traitement de sa minorité francophone et le Comité des Nations Unies pour l’élimination des discriminations raciales a publié mi-mars un rapport dans lequel il estime que le « wooncode » est « une discrimination indirecte exercée en raison de l’origine nationale ou ethnique. » Un rapport qualifié par les politiques flamands de dossier « sans valeur juridique ».

Autant d’exemples qui démontrent, une fois de plus, que le repli sur soi est le pire ennemi de la politique car il ferme le dialogue, la reconnaissance de l’autre et, tout simplement, le respect de la différence. Nous sommes en 2008, au cœur de l’Europe, et il faut encore marteler ces évidences…
Apartheid signifie en Afrikaans « vivre à part ». Un mot aux origines… françaises. Comme quoi. Certains blogueurs belges et francophones se demandent s’il leur faudra « porter un rat cousu au revers de leurs vestes ». Ou si, plus prosaïquement, on ouvrira des bus réservés aux francophones. Existera-t-il, alors, une Rosa Parkes pour oser élever la voix. En attendant, les élites francophones dans le monde restent sans voix. Et hélas sans voie…

Ce soir, la région wallonne présentait le film « Ça rend heureux » de Joachim Lafosse dans le cadre du Mois de la Francophonie organisé par la mairie du 6è. Ce soir, tout comme moi, les francophones sont malheureux…
Je laisserai le mot de la fin à Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie et ancien Président du Sénégal. Il était à Lyon le 19 mars pour l’ouverture de la première Maison de la Francophonie de l’hexagone. Un lieu ouvert aux autres et aux cultures. Un lieu passeur de rives… « La Francophonie, ce n’est pas seulement la défense d’une langue. C’est, à travers et par la défense de cette langue, le combat pour certaines valeurs. La Francophonie, ce n’est pas seulement la défense de la langue française, c’est à travers et par la promotion de la langue française, l’engagement en faveur de la diversité linguistique et, au-delà, de la diversité culturelle et du dialogue des cultures. » Certains n’ont pas compris… ou pas souhaité apprendre le dialogue.

Les Commentaires ( 3 )

  1. de FSAM
    posté le 30 mar 2009

    Monsieur Roux, vous n’avez pas mentionné le communes qui refusent d’organiser les élections européennes …

    Ironie de l’histoire : au 14e siècle Evrard T’Serclaes, dont un haut relief le représente gisant sous « Le Cygne » à la Grand-Place de Bruxelles, chassa les troupes flamandes de Louis de Mâle comte de Flandre, parce que celui-ci voulait prendre le pouvoir en Brabant et IMPOSER LE PARLER FRANÇAIS AUX BRUXELLOIS !

      Répondre

  2. de lilieke
    posté le 15 mai 2010

    Cher Monsieur, ce qui s’est passé dans le parc public est inadmissible, d’accord, MAIS, pour ce qui est des maires « élus » dans des communes FLAMANDES, pourquoi ne parle-t-il pas flamand? C’est du travail : apprendre une i,langue!! Que diriez-vous, si, dans une commune de la banlieue parisienne, ou dans une commune dans le midi, par ex., où beaucoup d’anglais se seraient installés, on nommait un maire anglophone et que le Conseil municipal était tenu en anglais, les comptes rendus en anglais, etc.? Vous réagiriez certainement différemment!!!

      Répondre

  3. de Martijn
    posté le 18 mai 2010

    Apartheid est un mot néerlandais signifiant séparation, qui vient du Français « à part »…
    c’est beau comme l’histoire d’un mot peu traverser les langues et les cultures.

    Quant à ce qui se passe en Belgique … il vont bientôt faire un remake de la Yougoslavie.
    Et dire que Bruxelles/Brussel est la capitale de l’Europe…

      Répondre

Poster un commentaire


− cinq = 3