« Avoir la faculté de » ou « faculté par laquelle on peut ». Même le Littré ne sait laquelle choisir de ces deux définitions du mot « pouvoir ». Quant à Malraux, il écrivait « Ceux qui croient que le pouvoir est amusant confondent « pouvoir » et « abus de pouvoir ». Tout en ajoutant, dans La voie Royale « Le pouvoir doit se définir par la possibilité d’en abuser. » Alors plongeons, et abusons ensemble…
« Dans d’autres partis, d’autres pays, ils seraient déjà à la tête de leur formation politique, peut-être au pouvoir, ou plutôt « en responsabilité ». C’est ainsi que l’on nomme le pouvoir dans ce curieux parti. « En responsabilité », comme si le mot « pouvoir » salissait le socialiste qui le prononçait. Eux n’ont pas peur du mot pouvoir. Ils voient Zapatero (48 ans) en Espagne, symbole d’une nouvelle gauche, gagner encore les élections ; Tony Blair, à peine une poignée d’années de plus qu’eux, quitter le pouvoir après dix ans passés à Downing Street. Ici, ils ne sont encore que des aspirants. Le parti socialiste a une vertu : on y est jeune très longtemps. Ailleurs, votre carrière est à son apogée. Ici, elle commence. »
Je viens de terminer le livre d’Aurélie Marcireau, journaliste à la chaîne parlementaire « Supplément socialiste au livre de la jungle ». Elle consacre plus de 200 pages à la « génération sacrifiée du PS ». Celle en quête du pouvoir. Celle qu’Arnaud Montebourg, le soir de sa réélection difficile à l’Assemblée, appelait de ses vœux : « Il y a eu le temps des éléphants désormais révolu, voici le temps enthousiasmant des jeunes lions ! »
Les jeunes lions se sont dispersés dans les diverses motions déposées en vue du congrès de Reims, en novembre. « Montebourg s’est réfugié sous l’aile d’Aubry, Valls s’est abrité chez Ségolène Royal, Patrick Bloche, député parisien, s’est rangé chez Delanoë. Les jeunes lions voulaient mordre les éléphants en déposant leur propre motion ; ils sont tous rentrés dans leur tanière », raconte Le Point. Il n’en reste pas moins que ces « fauves » du PS valent la peine d’être suivis à la trace. Ils ont du talent et, qui sait, dans dix ans, ils nous gouverneront peut-être !
Il est encore question de pouvoir dans la dernière livraison du mensuel Acteurs de l’Economie que vous trouverez dans tous les bons kiosques. Un numéro qui vient en résonance des Entretiens de Valpré auxquels je n’ai malheureusement pu assister. Denis Lafay , le rédac chef se fend d’ailleurs d’un superbe édito introductif au sujet. Il démarre par une phrase du cardinal Barbarin : « J’aime le verbe, je me méfie du substantif ». Comme un écho aux ambitions des jeunes lions du PS. Et d’ailleurs. Lisez la suite de l’édito
« J’aime le verbe, je me méfie du substantif ». Par cette phrase, le Cardinal Barbarin circonscrit les deux principales expressions du mot « Pouvoir ». La première féconde l’action, la seconde sustente l’égo, la première produit initiative, engagement, et responsabilité, la seconde contente puissance, narcissisme, tyrannie, et génère servilité, avilissement, immixtion, totalitarisme. Cette lecture, qui met en opposition de valeur les deux interprétations lexicales, n’est pas infondée. Les exemples ne manquent pas. L’Université de la Rochelle et les semaines qui pavent la préparation du Congrès de Reims exhibent un PS embastillé dans de ridicules et vénéneuses luttes de pouvoirs, symptomatiques du désert intellectuel et idéologique : lorsqu’une communauté n’est plus portée par le pouvoir d’agir, chacun de ceux qui la composent se recroqueville sur son pouvoir individuel et ne cherche plus qu’à rassasier son appétit de conquérir, d’assujettir, de nuire. On le sait, moins l’exercice d’un pouvoir a de consistance, plus son auteur est attaché à lui donner visibilité. Comme pour s’assurer qu’il existe encore. La guerre des pouvoirs que se livrent les candidats au leadership du parti, croît elle-même proportionnellement à la vacuité des idées, des projets, au point que le pouvoir de la destruction et celui du sabordage sont préférés au pouvoir de bâtir. Leur pouvoir est poison, et ils incarnent ces « fauves », « attirés par l’odeur du sang », « à l’aise dans la jungle », « focalisés sur le seul but de réussir et de dominer ». (…)
Portrait-robot qui sied aussi à Nicolas Sarkozy, dont l’appropriation « pathologique » du pouvoir connaît dans le champ des médias une manifestation aussi éclatante qu’inquiétante. (…)
L’examen de Mgr Barbarin, s’il est juste, n’en est pas moins incomplet. Car le choix de la rupture entre le verbe vertueux et le substantif toxique, ignore une autre réalité : le pouvoir peut aussi se mettre au service de pouvoir. Et même, pour pouvoir, il faut du pouvoir. Et plus encore, la capacité de pouvoir est proportionnelle au périmètre du pouvoir. Bref, le verbe et le substantif sont bien davantage enlacés que désunis. Parfois bien sûr pour le pire. Mais aussi pour le plus précieux, lorsque l’exercice du pouvoir est escorté d’une éthique, même de moralité, et qu’il donne corps à une cause utile et collective.
De quoi nourrir une réflexion d’un soir ou d’une vie chers lecteurs… Je vous engage à courir acheter cette revue. Vous en avez le pouvoir, abusez-en !
Pouvoir encore dans cet excellent livre d’Amin Maalouf, publié en 1983, et que je viens de découvrir : « Les croisades vues par les Arabes ».
Ou comment entrer de plain-pied dans l’histoire par une autre porte, un autre regard. Ou il est question des luttes de pouvoirs, notamment chez les Francs. Bien entendu, le livre est plutôt orienté. « Assied-toi dans le fauteuil de ton adversaire et regarde le monde avec ses yeux », rappelait il y a quelques années Alexandre de Marenche, l’ancien patron des services secrets français. Le secret du pouvoir ? Peut-être ! De la connaissance, assurément…
Un dernier mot sur le mot « pouvoir ». Si vous le tapez dans votre moteur de recherche favori, Google pour moi, vous tombez majoritairement sur des articles traitant du… pouvoir d’achat. Du pain et des jeux disaient les romains. Ils n’avaient pas tout à fait tort… Le pain viendra plus tard, la politique offre les jeux en attendant !
Le tableau illustrant cet article se nomme « Pouvoir et ne pas être », de Joseph Hiernard, artiste spécialiste de l’art déconstruit, fragmenté, inversé et reconstruit. Un peu comme le pouvoir !
Supplément socialiste au livre de la jungle, d’Aurélie Marcireau. Editions Perrin. 16 euros
Les croisades vues par les Arabes d’Amin Maalouf. J’ai Lu, 6 euros.
Etre « au pouvoir », assumer des « responsabilités » ou trop souvent exercer une puissance de commander une masse de subordonnés, est le propre de chaque groupe politique aujourd’hui.
En fait, dans l’imaginaire du politique, rien ne peut plus se faire sans qu’une place assurée « au gouvernement » ou au Parlement soit possible. Beaucoup veulent voir dans l’exercice du pouvoir comme une forme politique qui tendrait à établir un certain ordre, organisant le monde marchand, assurant la paix sociale.
Il convient cependant de noter que le « pouvoir » est avant tout une fiction.
Dans nos sociétés marchandes, ouvertes les unes aux autres, plus aucun pôle axial, plus aucune tête politique n’exerce le pouvoir.
Le drame, c’est que ce « pouvoir » est celui produit par les échanges marchands et qu’aujourd’hui justement notre destinée humaine se trouve confronté à l’effritement de ce « monde globalisé » qui entendait tout gérer, tout orienter !
Aussi, n’en déplaise à certains, rien ne saurait réellement donner une définition du pouvoir ou de cette manière de diriger des hommes … Pour moi, je suis désolé de le reconnaître, le pouvoir est assez illusoire.
On ne le reconnaît d’ailleurs que dans les désirs de soumission des gouvernés. Il n’existe que parce que des hommes, des femmes consentent à s’y soumettre … Mieux encore, le « pouvoir » semble être cette autorité voulue par le plus grand nombre. Observons les moments de crises dans notre histoire …
A chaque instant, des hommes ont recherché l’homme providentiel. D’ailleurs pour qui veut bien s’en souvenir, Nicolas Sarkozy fut et demeure cet homme providentiel, ce « guide ». Le Général Charles de Gaulle fut lui aussi un repère, une figure qui inspirait le respect.
Et comme souvent les citoyens espèrent se soumettre à quelqu’un qui finalement assumera mieux qu’eux ce dont la vie les a gratifié. Une fois encore, et j’insiste, c’est la confiance qu’ont les hommes dans la capacité de gouverner d’un homme qui donne le pouvoir à ce homme … Là est le fondement même du « pouvoir ». C’est dans le désir d’être dégagé de toute forme de responsabilité qu’un homme accepte d’abandonner son destin. Oui, le citoyen accepte qu’un homme s’accorde le pouvoir et le manie de manière à faire régner une certaine concorde. En fait, les citoyens veulent s’accomplir en donnant toute forme de « pouvoir » à celui qui saura accomplir le destin d’une communauté donnée …
En fait, et c’est la ma conscience, le « pouvoir » s’organise autour de cette idée que l’homme porte sur lui, sur ses faiblesses, ses peurs … Il croit que cet autre saura mieux que lui-même le conduire dans les bonnes voies ! Je ne vous le cache pas, aujourd’hui, j’ai peur. Non du pouvoir mais de l’usage que certains peuvent en faire. Souvent pour le « bien du groupe » le « pouvoir » a mis en danger l’humanité. N’oublions jamais que les sociétés en crise ont besoin à leur tête d’un homme représentant une justice qui tranche radicalement d’avec nos valeurs apaisées !
Et c’est dans cette relation de confiance que réside le pire. C’est presque sans limite et sans aucune réserve que des hommes font confiance au pouvoir d’un seul ! C’est ainsi que nous avons été les témoins de l’avènement d’un petit caporal perturbé, très certainement frustré au « pouvoir » d’une ancienne nation européenne dans les années 1933 … C’est ainsi qu’un parti qui comptait 3000 militants en 1921, en comptait quelques 55000 deux ans plus tard … C’est ainsi que dans tous les pays ce qui devait être tenu pour bien et juste pour une société donnée devait se révéler pour d’autres comme d’une effroyables violence. Le « pouvoir » peut être l’usage de la violence, des iniquités, du meurtre …
Pour Arnaud MONTEBOURG, je n’ai pas confiance en lui ni dans l’exercice qu’il ferait du pouvoir … Comme d’ailleurs nous mesurons assez bien la formulation de cet exercice du « pouvoir » que s’en fait Ségolène ROYAL en ses terres …
Dans sa formule (que je ne connaissais pas) « Il y a eu le temps des éléphants désormais révolu, voici le temps enthousiasmant des jeunes lions ! », j’ai comme l’impression d’entendre ces révolutionnaires qui entendait renverser un pouvoir « injuste », celui du serviteur de Dieu, Louis Auguste, Duc de Berry perturbé dans ses volontés premières mais qui surtout cherchaient à s’approprier ce même pouvoir sans trop rien y changer !
C’est pourquoi j’ai surtout l’impression que les jeunes loups ou lionceaux qui agissent au sein des partis cherchent avant tout à se consacrer en quelques rituels qui permettent la transfiguration d’un corps à un autre … De ces jeunes loups, de ces jeunes socialistes mais aussi de grand nombre de militants du « côté Droit », il y a comme une permanence du « pouvoir ».
Seuls les prêtres finalement sont tournés vers un modèle immatériel, désincarné bien que finalement ils soient eux aussi ces éléments qui entretiennent le principe même du « pouvoir » …
En fait, et peut-être vais-je conclure, la source du pouvoir est avant tout une mise en scène, activée de manière régulière car pour demeurer crédible, c’est-à-dire pour se garantir un exercice du pouvoir par le truchement d’un homme, d’un groupe, d’un idéal politique. Charles MAURRAS avait bien détaillé en ses principes les faiblesses des hommes dès lors que le « pouvoir » était laissé aux groupes différents qui constituaient la Nation … Néanmoins, sans me perdre dans les vues des « Maîtres à penser » de l’action royaliste, il est bien utile de comprendre que pour exercer le « pouvoir », il convient de raviver les besoins de cette entité invisible qu’est le sentiment populaire.
Le pouvoir n’est rien et pourtant il est dangereux. Et aujourd’hui, je crains que d’aucun ne puisse l’exercer à la manière apaisée.
Pour lui, le « pouvoir », les hommes sont prêts à tous les crimes. Depuis le meurtre d’Abel ou celui du mythe romain de Rémus, dans toutes les cultures, des hommes aspirent s’accaparer le pouvoir … Personne n’est à l’abri des désastres engendrés par le désir de « pouvoir » …
Certes, le livre d’Amin Maalouf est instructif . Cependant il ne permet finalement qu’une chose. Porter un autre regard sur « les abus de pouvoir » ou sur l’idée que le pouvoir peut créer une menace extrême contre ceux qui veulent ne pas le reconnaître ou leur opposer une autre morale.
Or, les inimitiés, les conflits, la rupture du lien social qui pousse aux désordres surgissent dans toutes les sociétés.
Et je ne pense pas que l’Islam du temps des Croisades ait fait preuve de modération dans l’usage de la violence donnée par le « pouvoir » sur les hommes. Et puis, je ne suis pas convaincu que la « Croisade » lorsqu’elle était vécue par des européens était perçues de manière différente …
Ce qu’il convient de se dire, c’est que le pouvoir détenu par n’importe qui peut créer du bien mais aussi la pire des choses. Le pouvoir et son exercice est une menace d’autodestruction qui s’ajoute à la mort naturelle des sociétés, des hommes.
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