Noël est passé. Vous êtes sûrement en vacances quelques jours. Grand bien vous fasse… C’est aussi l’occasion de prendre un livre et de passer du temps à jouer avec des mots. Je viens d’en terminer un qui donne envie de se plonger dans des cartes du monde, de suivre avec le doigt des routes perdues, des rivières et des fleuves, de se remettre en quête d’autres cultures. Un livre de voyageur. Et d’homme cultivé. Un livre sur l’eau.
A chacun ses « idoles ». Côté écriture, je suis un fan de la première heure d’Erik Orsenna. Ce voyageur des contrées lointaines a d’ailleurs l’un des plus beau site internet du monde de l’écrit. Un site de voyages, façon carte du tendre, d’archipel en archipel. (voyage d’un clic)
Tendre ? Pas tant que ça. Il tente de décrypter le monde au travers des matières premières et d’histoires. L’aventure a démarré avec L’exposition Coloniale (Prix Goncourt) sur le caoutchouc, puis Besoin d’Afrique, puis avec Voyage au pays du Coton, premier opus d’un Petit précis de la mondialisation. A suivi Un monde de ressources rares (mon commentaire d’un clic) et aujourd’hui L’avenir de l’eau, Petit précis de la mondialisation II.
Tour à tour journaliste, candide, enquêteur, scientifique, observateur du monde, géographe, historien, Erik Orsenna nous convie du Nil au Yangtsé, au sud-est de la Chine, de Berlin à Calcutta en passant par les leçons de survie du scarabée de Namibie ou du kangourou. Un voyage qui, sous la plume alerte, donne envie de suivre du doigt sur un atlas le parcours. J’allais écrire l’épopée… Et l’on se prend à regretter que les cours d’histoire-géo de nos enfants ne soient pas donnés par Orsenna. Quel plaisir de les faire alors réciter leurs leçons ! Et l’on se prend à avoir, de nouveau, envie d’apprendre, de se plonger dans des livres de géopolitique, de redevenir un étudiant, de retrouver des Maîtres.
Sur plus de 400 pages (prolifique, Erik Orsenna en livre 200 de plus sur son blog !), l’auteur parcourt donc le monde et témoigne. Erik Orsenna veut relier les mondes, nous ouvrir aux découvertes scientifiques, à la sècheresse en Australie, à la gestion désincarnée de l’eau à Singapour, aux malheurs du choléra en Inde, au Bangladesh, au défi de la Bretagne granitique… Une série de rencontres qui nous montrent à quel point l’eau est à l’origine de tout et comment nous pouvons trouver des solutions locales en nous inspirant des exemples qui marchent.
Tiens, démarrons l’envie de tourner les pages par un petit précis sur les nuages… Car qui dit nuages, dit, parfois, pluie. Donc eau et vie dans de nombreux pays. Et inondations et mort dans d’autres. Extraits.
Ce n’est pas à un romanichel qu’on apprend à dire la bonne aventure. En bon Breton d’adoption, je croyais tout connaître des précipitations venues du ciel. Les 860, 880 millimètres d’eau douce tombés bon an mal an sur mon crâne et sur celui de mes chers frères et sœurs brestois me semblaient valoir diplôme. J’étais loin du compte. Préparant mon voyage en Asie, je découvris le nom d’une ville, Cherrapunjee. Cette petite localité indienne, située au nord-est du Bangladesh, au pied de l’Himalaya, détenait, m’apprenait-on sans ménagement, le record mondial de la pluviométrie : 12 mètres en quatre mois ! Même si la mousson était responsable de cette performance, une mousson encore ignorée sur nos côtes d’Iroise, vous comprendrez mon sentiment de ridicule. L’heure était venue pour moi d’en savoir plus sur les nuages. Pour trouver un professeur, je n’eus pas à voyager loin. Mon club des Argonautes rassemble tous ceux qui en savent gros sur la mer, sur le ciel et sur leurs jeux communs. Et me voici, par un soir frisquet de janvier, dans la coquette cité résidentielle du Chesnay (département des Yvelines, France) pour prendre ma première leçon de pluie. D’autres allaient suivre. Car mon professeur Jean Labrousse eut beau faire assaut de patience et de clarté, mon intelligence est aussi lente que le mécanisme est complexe.
Une fois de plus, résumons.
Leçon 1
Un nuage est constitué de poussières, d’air sec et d’eau sous toutes ses formes : vapeur, glace, gouttelettes. Il paraît léger, il pèse des tonnes : 10 000 pour un petit cumulus ; 1 milliard pour un gros cumulo-nimbus. C’est principalement le poids de la vapeur d’eau. Si les nuages tellement pesants ne nous tombent pas sur la tête, c’est qu’ils sont soulevés en permanence par des courants ascendants.
Leçon 2
L’eau change d’état en fonction de la température. Plus la température s’élève, plus les molécules s’agitent, moins elles s’organisent en formes fixes : c’est la vapeur. Plus la température s’abaisse, plus les molécules se calment et prennent le temps de se structurer : c’est la glace. Entre les deux, à température moyenne, les molécules se rapprochent souplement : c’est l’eau liquide. Un nuage est un carnaval, un grand carnaval de l’eau. Dans un nuage, l’eau reste de l’eau, mais elle n’arrête pas de se déguiser. Elle passe sans cesse d’un état à un autre. Par condensation, la vapeur devient liquide ou glace. Par évaporation, l’eau liquide et la glace deviennent vapeur. La condensation réchauffe le milieu ambiant (elle libère de la chaleur). L’évaporation le refroidit (elle a besoin d’énergie, donc absorbe de la chaleur). Dans ce carnaval qu’est le nuage, l’eau brouille les pistes : non contente de changer d’état, elle s’amuse à prendre tous les états à la fois. Jouant de la pression et de la température, la glace, la vapeur et les gouttes d’eau réussissent à coexister.
Les poussières sont des complices actives de cette valse permanente : elles accueillent et rassemblent les molécules qui passent d’un état à l’autre.
Leçon 3
Mouvements verticaux. Soit, proche du sol, une parcelle d’air chaud : elle a tendance à s’élever. Au fur et à mesure qu’elle gagne de la hauteur, la pression atmosphérique diminue. La parcelle prend ses aises, se disperse sur plus d’espace et, ce faisant, se détend, se refroidit. Mais elle se refroidit moins vite que l’air ambiant. Toujours plus chaude que lui, elle continue à grimper.
Supposons que cette chaude parcelle contienne beaucoup d’humidité. Il arrive une altitude, c’est-à-dire une certaine température, où des gouttes d’eau paraissent. La condensation a commencé, processus qui libère une forte chaleur. (La condensation d’un gramme de vapeur réchauffe un kilogramme d’air de 2,5 °C.) Ainsi réchauffée, la parcelle remonte de plus belle. Le même mécanisme accélérateur joue pour la redescente, lorsque la parcelle, enfin refroidie, est devenue trop lourde. La conséquence de ce grand jeu circulaire est que les masses d’air se brassent : les hautes couches se réchauffent, les basses se refroidissent. Plus forte est la présence de vapeur d’eau, plus instables sont ces masses d’air.
Et chaque fois, quittant mon professeur de pluie et sa rue de Versailles aux innombrables magasins de bouffe, je me promettais d’aller un jour saluer la ville championne du monde. D’après les guides, Cherrapunjee est assez facile à joindre via Shillong, l’ancienne capitale de l’Assam. Le voyage vaut pour les canyons vertigineux, creusés par ces écoulements de légende. Pour franchir ces crevasses, les populations ont eu l’idée de ponts-racines. Il suffit de planter au bon endroit un ficus elastica et d’attendre que poussent ses racines, en guidant quelque peu leur parcours. Si la même envie que moi d’aller là-bas vous prend, peut-être entrerons-nous en concurrence : les deux seuls hôtels, le Sohra Plaza et le Holiday Resort, n’offrent respectivement que deux et six chambres. Il paraît qu’une fois venu, on revient. Les ciels de mousson exercent un attrait auquel nul ne résiste.
Le nom de la région n’a pas été choisi par hasard : Mezhalaya, le « pays des nuages ». Comme vous le savez, l’Himalaya, l’étage du dessus, c’est le « séjour des neiges ».
Leçon 4
Le moindre cumulo-nimbus contient des centaines de tonnes d’eau condensée : une infinité de gouttelettes et de petits morceaux de glace, entraînés par leur poids, se mettent à tomber.
Dans leur chute, ils entraînent de l’air, qui peu à peu se comprime et donc se réchauffe. Prises au piège de cette chaleur, les gouttelettes s’évaporent.
C’est ainsi que la présence d’eau dans un nuage ne garantit pas du tout la pluie. Cette énorme quantité d’eau peut monter, descendre, changer d’état, s’amuser à circuler de bas en haut et de haut en bas sans jamais quitter le nuage.
Pendant ce temps-là, le cultivateur, le jardinier regardent le ciel, pourtant si sombre : l’averse tant attendue tarde. Peut-être ne viendra-t-elle jamais ; alors, la terre restera sèche…
Il n’y aura de pluie que si des gouttes suffisamment grosses se sont formées : entre 2 et 3 millimètres. Plus petites, c’est de la bruine (0,5 millimètre). Plus grosse, la goutte se déforme dans la chute, devient de plus en plus plate. Elle explosera au premier contact. Pour atteindre la taille suffisante, qui leur permettra (peut-être) de traverser sans trop de dommages la zone à haut risque de l’évaporation et d’atteindre le sol, les gouttelettes doivent se rencontrer, et s’unir. Si l’air traversé durant cette chute contient des poussières, ces unions seront plus simples : les gouttes se rassembleront autour de ces sortes de noyaux. D’où, pour aider les nuages à pleuvoir, l’idée de les saupoudrer de particules douées de pouvoirs attractifs. Ainsi ensemencés, les nuages devraient donner naissance à des gouttes plus corpulentes et donc plus résistantes.
C’est plus loin dans mon voyage, au Sénégal, que j’allais pouvoir assister à de telles expériences.
Le voyage n’est pas loin… Je vous laisse tourner les pages de L’avenir de l’eau. Vous irez, comme moi, en Israël, sur les bords du Jourdain, rendu aux touristes sur quelques mètres, puis auprès de l’Autorité Palestinienne. Les palestiniens accusent les israéliens de leur prendre 85% de leur eau, les israéliens accusent les palestiniens de ne pas traiter leurs eaux usées, qui se déversent chez eux. Sans parler du dessalement des eaux de la Méditerranée.
Vous découvrirez l’une des plus grande ville du monde, Chongqing, au confluent du Yangtsé et de la rivière Jialing, capitale de la Chine nationaliste de Tchang Kaï-check durant 6 ans, qui compte aujourd’hui 33 millions d’habitants ! Ville construite « sur ordre » au milieu de montagnes « terriblement escarpées » et dont le défi est de permettre une distribution normale de l’eau et un débit constant, alors que les canalisations ne cessent de monter et de descendre, ou de se briser dans des glissements de terrain.
Plus près de nous, à Montpellier, des chercheurs, en lien avec l’université de Santiago au Chili, travaillent sur l’apport des lombrics dans… le traitement des eaux. Avec un premier site équipé à Combaillaux, au nord de Montpellier. Investissement inférieurs, recyclage total des boues encombrantes, économies de surface. Et incrédulité, toujours et encore face à des solutions naturelles.
Un voyage dont la conclusion est sans appel : il n’y aura pas de crise globale de l’eau. Le réchauffement climatique aura des effets divers et opposés selon les régions. Certaines seront plus durement touchées par la sécheresse, d’autres recevront davantage d’eau.
Autre constat, partagé par le PDG de Véolia, Henri Proglio lors d’une conférence récente à laquelle j’ai assisté, il n’y a pas de solution globale, mais des solutions locales, prenant en compte le contexte, l’histoire, la géographie… “Toute eau est liée à des lieux“.
Certaines sont originales comme celle inventée dans un Algeco (le bâtiment T !) de la très célèbre Ecole nationale de physique et de chimie industrielles de Paris. Des quelques mètres carrés de son labo, Daniel Beysens conduit la bataille de la rosée. Quelques gouttes qui peuvent changer des vies… Là encore, une rencontre fait un voyage.
Le petit précis de mondialisation III est à mon avis déjà en cours de préparation. L’auteur, après le coton et l’eau, semble travailler sur un autre sujet. Il conclut par « Partout les surfaces cultivées manquent, partout les sols s’épuisent. Où allons-nous développer l’agriculture capable de nourrir 9 milliards d’êtres humains ? La crise globale de l’eau n’aura pas lieu. La crise de la terre commence… »
Erik Orsenna, de l’Académie Française. L’avenir de l’eau, chez Payard. 22 euros.
A ecouter… Eric Orsenna sur Canal Académie, la première radio académique francophone
http://www.canalacademie.com/Orsenna-Il-faut-ecouter-les-lecons.html
Répondre
Au moment même ou je découvre le nouveau sujet de ton blog, je viens de me réfugier dans mon hôtel de Porto noyée sous un déluge. Que d’eau, mon prince, que d’eau !
Répondre
@ Marco : c’était prévisible… Wikipédia m’apprends qu’en raison de sa position près de l’océan, Porto reçoit plus de précipitations qu’à l’intérieur du pays, entre 1 100 mm et 1 200 mm par an repartis sur 90 jours de l’année. Les mois les plus pluvieux sont décembre et janvier avec chacun 11 jours de pluie alors qu’en août, il y a seulement 2 jours de pluie.
Il ne reste plus qu’à te consoler avec un grand verre de bourgogne à ma santé. N’oublie pas qu’Alphonse VI de Castille octroya le comté du Portugal à sa fille naturelle Thérèse, mariée avec Henri de Bourgogne.
A ta santé, mon Marco.
Répondre
Cher ERdB,
Magie du Wifi gratuit partout ici, une pensée depuis la limite de l’Europe et de l’Asie où je séjourne pour ce bout d’an avant de revenir entre Saône et Rhône début
2009. Istanbul pluie glaciale, 93% d’humidité et pas de Bourgogne mais un rouge « Angora » doux goûteux et agréable à boire. @ très vite pour les voeux…
Répondre
Et il y avait des tracts de la FCPE dans ce cours d’eau ?
Mouarff bon ok je sors…
Répondre
Erick, une belle découverte que ton blog en ce 1er janvier 2009 !
Il va me falloir revenir, car la tête (et la tête !!!) est encore quelque peu dans le seau !
Mais je peux déjà dire qu’après la lecture d’un tel article, il est clair que je dois lire, de nouveau Monsieur Orsenna, c’est une plume que j’avais particulièrement appréciée et que j’ai bien trop longtemps délaissée…
Merci et à bientôt.
Répondre
J’ai lu ce livre dont j’étais très curieuse grâce à l’opération masse critique de Babélio.je l’ai lu avec beaucoup de curiosité et d’intérêt et il m’a beaucoup plu dans sa forme originale et brillante à plus d’un titre.
Par contre j’ai été gênée par le pragmatisme un peu trop exemplaire de l’auteur. La lecture d’une étude critique de ce livre que j’ai trouvée sur le net : http://www.eauxglacees.com/IMG/pdf/…
m’a confortée dans ce sentiment, et dans ma conviction que pour gérer un bien commun essentiel à la vie, il vaut mieux privilégier l’idée de bien public ou de bien commun plutôt que celui de bien privé et de marchandisation.
Répondre