« Il n’y a pas de fatalité », disait à qui voulait l’entendre Nicolas Sarkozy, encore candidat, pas encore président. Et c’est avec un certain fatalisme que l’on voit la rubrique politique ressembler de plus en plus à une association de malfaiteurs. « Ca a toujours existé » rétorqueront certains, le pouvoir étant à une portée de cuillère de l’argent, sale ou propre. Chaque homme politique ayant en tête une anecdote, un souvenir, une expérience où le manche de la cuillère est passé à portée de main.
On aime les pizzas au PS de Montpellier. Au point d’en commander pour 42 000 euros en deux ans. Et pan sur le bec.
On organise un système mafieux à Marseille, entre frères socialistes, et sûrement avec la complicité au moins passive de l’ensemble de la classe politique locale qui savait et n’a rien dit. Et pan sur le bec.
Un ancien président de la République et son ex-flamboyant premier ministre sont accusés d’avoir reçus mallettes et tambours africains en cadeau. L’essentiel se trouvant à l’intérieur. Et pan sur le bec.
Un autre ex-premier ministre n’aurait pas su dire « Je vous demande de vous arrêter » lorsque ses collaborateurs faisaient transiter de l’argent entre diverses îles aux noms exotiques et Paris, via Genève ou Londres. Pour eux, c’est vade retro-commissions ! Et pan sur le bec.
Et je pourrais continuer la liste des affaires en cours. Ou à venir.
A l’approche des présidentielles, on entend toujours le roulement du tambour de la lessiveuse, sorte de grand soir des coulisses de la politique. On nous avait promis une campagne présidentielle de 2012 au ras du caniveau, j’ai bien peur que nous ne soyons déjà tombés dans le tout à l’égout. Et il reste encore 9 mois… Tout ça pour, à l’arrivée et après les présidentielles, statuer par des non lieux pour les puissants et des condamnations pour les demi-soldes qui ont eu la bêtise de se faire prendre la main dans la mallette.
Les esprits les plus brillants me rétorqueront qu’il n’y a, pour l’instant, que des accusations, et pas de preuves. Que l’heure est à l’élimination, avant le combat final. Que, comme le disait Edouard Herriot, « la politique, c’est comme l’andouillette, il faut que ça sente un peu la merde », confondant l’andouillette de Troyes, ville dont il était originaire, et celle de Lyon, beaucoup plus noble…
C’est vrai, la politique a, de tous temps, fricoté avec le fric. Voire avec les voyous. La loi sur le financement des partis politiques votée en 1995 était censée stopper ces affaires, ces mallettes, ces tambours. C’était sans compter sur la rapacité de certains et la faiblesse d’autres.
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J’ai appris récemment que la table de Charles Béraudier qui trônait dans un coin du Cintra, en face de la Chambre de Commerce, avait été vendue. Béraudier, premier président de la région Rhône-Alpes, figure de la résistance, adjoint au maire de Lyon, avait pour spécialité la répartition des marchés publics. Nous étions dans les années 1960-80. Il recevait autour de cette table, mythique pour toutes les entreprises du BTP. Elle possédait un tiroir à double entrée. L’une du côté Béraudier, l’autre du côté de l’entrepreneur. Dessous de table diront certains, mécanisme de va et vient bien huilé rétorqueront d’autres.
Nous étions à la grande époque du financement illégal de la politique. J’étais président des Jeunes Giscardiens. Et en charge, souvent, de l’animation des campagnes. Il fallait coller, tracter, faire la claque. Je me souviens d’avoir été convoqué dans le bureau de Béraudier. Pas celui de l’Hôtel de ville, l’officiel. Non, l’officieux, situe à quelques pas de là. A l’entresol d’un immeuble, rue du Garet. Derrière lui, un énorme coffre fort. « Pour les camionnettes destinées au collage, tu ira à cet endroit de ma part, on te remettra les clefs de 3 véhicules. Pour les frais (colle, seaux, balais, essence…), je te donne de l’argent. » Et il plongeait la main dans le coffre pour en ressortir une liasse de billets. Quelques années d’argent de poche pour l’adolescent que j’étais. « Tiens, prends aussi des timbres. » Et il en posait plusieurs liasses sur son bureau. Pratique pour envoyer les courriers à nos adhérents. Et je signais un reçu, qui disparaissait dans le coffre. Que sont-ils devenus, ces reçus ? On dit qu’à la mort de Béraudier, le coffre fût ouvert en présence des caciques de l’UDF locale. Le corps était encore chaud, mais le business n’attendait pas.
Lorsque j’avais un tract à mettre en page et à imprimer, c’était facile. On m’indiquait une entreprise de communication ayant des marchés publics avec la collectivité, elle se chargeait de tout. Et refacturait sûrement à quelqu’un.
Autre temps, autre mœurs. J’avais 17 ans, je n’étais pas naïf, mais le système marchait comme ça. La belle excuse… Depuis, d’ailleurs, je me suis toujours tenu loin des finances des campagnes électorales. Jetons un voile pudique, au cas où !
La grande épuration des années 80, avec la chute des systèmes RPR, PS, Urba, Mnef… a mis en lumière que les adhésions ne suffisaient plus, depuis bien longtemps, à financer la vie politique. Halte aux affaires, mallettes et tambours. Opération mains propres.
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Les boules puantes de ces derniers jours sont là pour nous rappeler que si le système a, heureusement, bien changé, en mieux. Certains ont du mal à passer près de la cuillère sans la porter à la bouche…
C’était il y a trois ans. Je venais de créer le département affaires publiques de ma société. Affaires publiques, c’est à dire, si je m’en réfère au « livre bleu du lobbying en France » édité par l’Assemblée Nationale :
En fournissant au bon interlocuteur, au bon moment, la bonne information, le lobbyiste aide le politique à prendre ses décisions en toute connaissance de cause. Le lobbyiste fournit directement au politique les informations et expertises dont il a besoin dans l’exercice de ses missions.
Le lobbyiste agit par veille, anticipation ou à la demande de l’acteur politique.
Le lobbyiste est un partenaire du politique, mais il ne se substitue pas à lui.
Le lobbyiste n’est ni un commercial, ni un chargé des relations publiques.«
Lobbying ne rimant pas avec prévarication, contrairement à ce que de nombreuses personnes pensent. C’est pourquoi on parle plus facilement en France d’affaires publiques.
Après quelques semaines d’activité, une entreprise nous contacte pour que nous l’aidions à acquérir un terrain cédé par une institution publique. Contre des honoraires et un petit paquet d’argent liquide « pour aider à la relation ». Il ne nous a fallu que quelques secondes pour leur indiquer la porte. Pas de mallettes, en l’espèce !
Plus près de nous, il existe en province, comme à la capitale, des personnes dont la seule fonction consiste à disposer d’un carnet d’adresses, de numéros de portables, et de faciliter les affaires. Métier bien étonnant que celui de ces « consultants en business » qui font se rencontrer des décideurs qui se connaissent déjà et plaident pour que l’attribution des marchés arrangent tout le monde. Contre rémunération sonnante et trébuchante, sur facture bien entendu. A quoi servent-ils ? Mystère. Où va l’argent ? Dans des poches, sûrement la leur pour commencer, à des fins alimentaires bien entendu. Ah, si certains osaient parler…
On se souvient également des accusations, graves, portées par Lyon Capitale contre des fonctionnaires du Grand Lyon ou du Conseil général du Rhône.
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Les résultats des sénatoriales et la forte poussée de la gauche (voire sa victoire avec l’élection au perchoir du socialiste Jean-Pierre Bel) reflètent d’abord les dernières victoires de la gauche aux élections municipales et cantonales et, dans une moindre mesure, le désunion de la droite et du centre dans un scrutin pour le moins particulier. Elle reflète aussi, il faut le dire, un ras le bol de ces élus locaux « de base », maires en tête, qui en ont marre de cette classe politique des grandes villes et de Paris qui en oublie les fondamentaux de leur mission. A commencer par « servir » et non « se servir ».
Je pense au maire de mon village, en Saône-et-Loire, sur le pont 24/24 dès qu’il se passe quelque chose chez l’un de ses administrés ou sur le périmètre de la commune. Une fonction quasi bénévole, qui demande d’abord abnégation et goût du service. Face à ces affaires, comment ne pas comprendre son dégoût.
D’autant que ces rétro-commissions dites de Karachi semblent atteindre de plein fouet les plus proches de Sarkozy, alors au service d’Edouard Balladur. La connerie, car c’en est une, d’Hortefeux, l’ami intime du Président, venant renforcer la thèse d’une justice sous contrôle, ou au moins sous surveillance. Ca a toujours existé, certes, mais c’est de moins en moins admis.
L’opinion publique, toute versatile qu’elle soit, toute oublieuse qu’elle soit, a changé. Il y a des limites à ne pas dépasser et cet étalement d’argent sale, en période de crise qui plus est, est de nature à plomber de façon durable la candidature de Sarkozy à sa succession. Qu’il soit coupable ou innocent.
Depuis quelques mois, je pariais sans retenue sur sa victoire. Je dois vous avouer que depuis quelques jours, Karachi me fait douter…
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Alors, tous pourris ? Si la campagne des présidentielles se joue sur les torrents de boue, pas sûr que les Français, constatant que la pourriture gangrène à gauche comme à droite, ne décident de se payer un petit coup d’extrêmes. Juste histoire de baffer une nouvelle fois les partis à la main leste (ou lestée, c’est selon).
Résisteront-ils à la politique du pire ? Et sauront-ils trouver dans les candidats « institutionnels » celui qui semblera être à la fois capable d’être le boss sans tomber dans sa version Corleone ?
Quant à la classe politique dans son ensemble, je pense qu’elle est en grande partie honnête. Les relents du passé sont le fait d’une génération d’avant la modernisation de la vie politique. Certes, comme partout, il y aura toujours des véreux et des tentateurs, mais la nouvelle génération de dirigeants politiques que je fréquente (à Lyon, les Kimmelfeld, Havard, Broliquier…) sont bien loin de ces tripatouillages. Autre génération, qui a vécu de l’intérieur la gloire et la chute des puissants aux mains lestes, et qui aspire à plus d’éthique.
Je le constate d’ailleurs régulièrement en travaillant avec certains d’entre eux. L’argent est toujours présent, pas loin, le liquide peut encore facilement passer d’une poche à l’autre, mais ils refusent tout arrangement, tout compromis. Au risque de voir leurs ambitions être freinées faute d’argent. Mais c’est un risque à prendre car il force au travail, à la créativité et à l’intelligence.
Quant aux autres, à ceux qui se compromettent, même pour la survie de leur parti ou de leur famille , ils finiront, comme l’écrivait la semaine dernière Christophe Barbier dans L’Express, noyés dans « le cloaque des ambitieux ».
Des preuves, des preuves à ne plus savoir qu’en faire mais aucun indice sérieux pour étayer un soupçon….
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Pas de morts encore à ma connaissance….les histoires de rétrocommissions en entrainent parfois beaucoup ( pas loin d’une dizaine de morts pour les vedettes de Taïwan) et ce n’est malheureusement pas toujours en prison que finissent les seconds couteaux.Il faudra en tout cas être attentifs au devenir dans les prochaines années des protagonistes de cette affaire Karachi, on aurait l’air fin de les retrouver soignés façon Boulin, Berregovoy, de Broglie, Fontanet …etc
La cuillère est parfois empoisonnée.
Tout ceci me rappelle une réjouissante série télévisée de Ridley Scott basée sur les « Piliers de la Terre » de Ken Follett où au XIIème siècle on voit patauger les coteries dans d’abjectes complots.
Excellente tribune en tout cas , merci
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ERdB bonjour,
Construire un rempart étanche entre politique et argent n’est à l’évidence pas chose aisée. Le dispositif législatif relatif au financement des partis politiques et des campagnes électorales semble avoir tout de même contribué à mieux encadrer les pratiques lors de nos élections municipales, cantonales et législatives. En effet, tant la loi que la vigilance des « concurrents » et les recours qu’ils n’hésitent pas à engager – Lyon en est un bon exemple – nous éloignent des pratiques du passé auxquelles tu fais référence.
Pour autant, il semble que les élections présidentielles – consultation électorale majeure s’il en est – ne soient pas exemptes de quelques suspicions même si pour l’instant on attend les preuves.
Toutefois, la loi seule ne suffit pas pour « étanchéiser » la chose publique de l’argent privé.
Un ministre du budget en charge de guerroyer contre toutes les pratiques financières et fiscales inciviques qui est trésorier du parti au pouvoir et dont l’épouse travaille à la « défisc » d’une des plus grosse contribuable française sur laquelle fourmille rumeurs et enquêtes sur sa fonction cette fois-ci plus contributrice au « système » fut une réalité récente – qui bien que légale – est peu à même d’apaiser les suspicions des Français pour la chose politique.
Les enquêtes sur d’éventuels micmacs politico-familiaux des Bouches du Rhône montrent que le mélange des genres est un mal qui affecte la gauche comme la droite.
A une période ou l’argent fait cruellement défaut à nombre de nos concitoyens – ne serait ce que pour assumer leurs besoins vitaux – la vision indécente presque fantasmatique de mallettes d’argent qui passent de main en main – peut devenir une source de colère qui gronde doucement.
Un sous couillon sans contrôle qui fait perdre 5 milliards à la banque qui l’emploie en pianotant sur son PC, des quantités himalayennes de Dollars et d’Euros qui s’évaporent dans une crise financière à laquelle personne ne comprend quoi que ce soit sauf qu’elle se traduit par tous (ou presque) plus pauvres qu’avant … des discussions sur d’éventuelles faillites d’Etats (alors qu’ils furent les ultimes remparts contre le collapse général du système financier), voilà un contexte dangereux à l’éclosion de nouveaux scandales politico-financiers.
Sans vouloir adopter un ton de réquisitoire à la « Eva Joly », sans doute la moralisation de notre vie publique gagnerait à s’inspirer intelligemment des usages des pays du nord de l’Europe. L’exercice politique y est « facialement » moins somptuaire – et s’agissant des frontières public-privé – foncièrement plus claires.
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@Caton « Lyon en est un bon exemple ». Il faut y croire pour le voir !
Un jour est passé un marché public transparent mais personne ne l’a vu, les observateurs suffisants étaient entrain de donner des leçons de légitimisme local…
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Et maintenant le feuilleton continue avec des flics….et mème peut ètre des magistrats…cette année est vraiment une cuvée exceptionnelle!!! Mais à qui se fier de nos jours ma bonne dame?
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