1954. René Rémond publie « La droite en France de 1815 à nos jours. Continuité et diversité d’une tradition politique ». Un ouvrage, actualisé en 1982 sous le titre « Les droites aujourd’hui », qui continue encore de servir de marqueurs à de nombreux journalistes et commentateurs. Une récente étude de l’Ifop remet les pendules à l’heure de la présidentielle de 2012…
René Rémond avançait une thèse novatrice selon laquelle il n’y aurait pas une seule droite en France, mais trois, issues des conflits de la révolution Française : les droites légitimistes (droite contre-révolutionnaire), orléaniste (droite libérale, pour faire simple, une bonne partie de l’UDF de l’époque) et bonapartiste (droite césarienne, en gros le RPR de l’époque).
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Et en 2012, ces trois droites ont-elles encore droit de citer ? Et les électeurs de la droite qui sont-ils ? Que pensent-ils ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller ? Des questions traditionnelles dont les états-majors politiques scrutent avec attention les réponses dans les sondages et autres études sociologiques de Sociovision (ex Cofremca chère aux giscardiens), TNS Sofres ou Ifop, pour ne parler que des plus gros.
L’Ifop vient justement de réaliser un sondage auprès de 925 français de droite pour le compte de La lettre de l’opinion, dirigée par Guillaume Peltier. Ce conseiller de nombreux hommes politiques de la droite et du centre est passé tour à tour par le FN puis le MPF, dont il fut un secrétaire général fortement médiatisé, avant de rejoindre l’UMP en 2009 (je vois déjà le nez de certains de mes copains de gauche se plisser, alors même qu’ils gèrent la ville de Lyon avec l’extrême gauche et qu’ils se plaisent avec les ex-trotskystes !). Analyste reconnu de l’opinion (même le Nouveau Centre prend des conseils auprès de lui, c’est dire si son passé a été poussé sous le tapis), il est positionné par la presse (Nouvel Obs, Figaro Magazine, Express) comme un élément important du dispositif de campagne du (futur) candidat Nicolas Sarkozy.
Cette étude, fouillée, distingue, elle, quatre grandes familles de droite : la droite républicaine libérale (42% de l’échantillon), la droite sociale humaniste (7%), la droite nationale populaire (27%) et la droite extrême (24%).
Chaque personne interrogée devait se définir par rapport à une proximité politique. Là, surprise, la nébuleuse centriste n’apparaît pas dans les résultats, alors que le MPF, plus que moribond au niveau national, se classe entre 2 et 6%. Et pourtant, une grande partie du centre se positionne à droite. Pourquoi n’avoir pas pris en compte cette aile de la majorité actuelle ? Dommage…
Seconde surprise, le poids de l’extrême droite (l’enquête additionne la sympathie et l’adhésion !).
Troisième surprise, la faiblesse de la droite sociale humaniste et la force de la droite libérale, pourtant la moins audible et… la moins respectée au sein de l’UMP !
Et un constat : on voit bien que l’UMP a tendance à s’organiser autour d’au moins trois de ces courants, le plus connu étant la Droite populaire qui cogne à qui mieux mieux à droite, mais on retrouve aussi Laurent Wauquiez ou encore Nora Berra, avec leurs clubs respectifs, Droite Sociale et Esprit Neuf, pour la mouvance droite sociale et humaniste ou encore Hervé Novelli pour les libéraux réformateurs/Galaxie Libérale.
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Je vous livre de larges extraits de l’étude et quelques commentaires et impressions…
1. La droite républicaine-libérale (42%)
C’est la famille la plus nombreuse de la droite : 42%.
Les individus qui la composent ont un profil plutôt âgé. Elle comporte en effet significativement moins de personnes âgées de moins de 35 ans (17%, contre 21% dans l’ensemble) et significativement plus de personnes âgées de 65 ans et plus (35%, contre 30% dans l’ensemble). Ces derniers sont d’ailleurs la génération la plus représentée dans cette famille et de ce fait, la catégorie socioprofessionnelle des retraités est surreprésentée (47%, contre 40% dans l’ensemble). Ses effectifs établissent enfin une filiation nette à l’UMP (82%) et moindre au Front National (14%).
La famille de la droite républicaine-libérale s’inscrit clairement dans la tradition libérale. Les mesures qu’elle soutient le plus et où elle se démarque le plus des autres familles visent souvent à donner plus de flexibilité au marché – facilitation du développement du travail à domicile (94%), abrogation de la loi sur les 35 heures (82%, contre 74% en moyenne) – et à s’opposer à l’interventionnisme étatique, comme l’adhésion massive au financement d’une part significative des retraites par une épargne individuelle complémentaire défiscalisée (90%, contre 77% en moyenne).
Elle n’en demeure pas moins républicaine, se déclarant favorable à la mise en place d’aides fiscales pour les industriels qui relocalisent en France leur production (94%, contre 88% en moyenne) et à la mise en place d’un régime de retraite unique (86%, contre 81% en moyenne).
Sur les questions identitaires, bien que majoritaire sur les items testés, elle l’est de manière moins favorable que les autres familles : 74%, contre 81% en moyenne pour l’interdiction de l’édification de minarets lors de la construction de mosquées, et 67%, contre 77% en moyenne à la dissolution des associations d’aide aux sans-papiers.
2. La droite sociale-humaniste (7%)
La famille de la droite sociale-humaniste se distingue par la jeunesse des individus qui la composent.
Elle est en effet composée à 56% par des personnes âgées de moins de 35 ans et plus de trois quarts de ses effectifs ont moins de 50 ans (79%). Sa composition paraît également populaire : 39% sont issus des catégories socioprofessionnelles modestes, et la proportion de personnes appartenant à la catégorie « autres inactifs », dont font partie les étudiants, est significativement plus élevée qu’au sein des autres familles (19%, contre 10% pour l’ensemble). Deux tiers d’entre eux se définissent comme des sympathisants UMP (64%) et l’autre tiers comme des sympathisants du Front National (34%) se situant dans la moyenne et ne se démarquant pas des autres familles.
Ses prises de position sont plutôt sociales, humanistes et libérales, par opposition aux autres familles.
Elle se montre notamment moins réfractaire à l’embauche d’enseignants supplémentaires dans les cinq prochaines années (50% de ses effectifs sont pour, versus 40% dans l’ensemble) et moins opposée à la dissolution des associations dont l’objet est d’aider les sans-papiers (44% pour, versus 77% dans l’ensemble). Elle semble également moins favorable à l’ensemble des mesures testées, montrant sa volonté de développer le libre-arbitre de chaque individu. Les mesures pour lesquelles elle s’accorde le plus sont la simplification des contraintes administratives qui pèsent sur la gestion quotidienne des indépendants (73%), la facilitation du développement du travail à domicile notamment pour les mères de famille (68%) et la création d’un fichier unique de lutte contre les fraudes aux allocations sociales (67%).
3. La droite nationale-populaire (27%)
La droite nationale-populaire recense les mêmes catégories de population que la droite républicaine et libérale mais de manière exacerbée. Elle se veut ainsi plutôt âgée (11% de moins de 35 ans, contre 21% en moyenne et 43% de 65 ans et plus, contre 30% en moyenne) et surreprésentée par des individus issus de la catégorie socioprofessionnelle des retraités (58% contre 40% en moyenne).
A l’instar des effectifs de la droite républicaine-libérale, elle se définit en majorité comme proche de l’UMP (82%) et assez éloignée du Front National (15%), même si elle adhère à de nombreuses propositions de ce parti.
Les effectifs de la droite nationale-populaire sont très sensibles à la sauvegarde de l’identité nationale.
Ils sont favorables à la dissolution des associations d’aide aux sans-papiers (92%, contre 77% en moyenne), ainsi qu’à l’interdiction de l’édification de minarets lors de la construction de mosquées (89%, contre 81% en moyenne). La sécurité occupe une place prépondérante à leurs yeux, 93% d’entre eux étant favorables à un développement généralisé de la vidéosurveillance, et les aspects sociaux et égalitaires également. Ils sont en effet favorables à la fixation d’un salaire minimum pour les dirigeants des grandes entreprises (88%, contre 80% en moyenne). L’embauche de 70 000 postes d’enseignants pour les cinq prochaines années et l’abandon de l’euro et le retour au franc sont des mesures qui ne les enchantent guère (20% et 22% respectivement, contre 40% et 32% en moyenne).
4. La droite extrême (24%)
La famille de la droite extrême est celle qui regroupe le plus de femmes dans ses effectifs (52%, contre 45% en moyenne), ce qui constitue une de ses premières caractéristiques. Elle est également composée aux deux tiers par des personnes âgées de moins de 50 ans (64%) et celles âgées de 65 ans et plus sont sous-représentées (13%, contre 30% en moyenne).
De ce fait, les catégories socioprofessionnelles les plus populaires paraissent surreprésentées : elle est composée en effet de 19% d’employés (contre 13% en moyenne), de 23% d’ouvriers (contre 13% en moyenne) et de 16% d’autres inactifs dont font partie les étudiants et les femmes au foyer (contre 10% en moyenne). Ses effectifs sont donc finalement proches du profil de l’électorat de Marine Le Pen et se définissent sans surprise comme proches du Front National (64%, contre 28% en moyenne).
Ses effectifs se distinguent en se montrant particulièrement favorables à des mesures telles l’interdiction de l’édification de minarets lors de la construction de mosquées (92%, contre 81% en moyenne) et la dissolution des associations dont l’objet est d’aider les clandestins sans-papiers (89%, contre 77% en moyenne). Ils se montrent également davantage en accord avec l’embauche des 70 000 postes d’enseignants pour les cinq prochaines années (65%, contre 40% en moyenne) et l’abandon de l’euro et le retour au franc (61%, contre 32% en moyenne), semblant privilégier le développement d’un Etat fort et centralisateur. C’est d’ailleurs en ce sens qu’ils se montrent moins favorables que la moyenne au changement de la frontière public-privé en confiant des missions de services publics à des agences autonomes de droit privé (64%, contre 74% en moyenne).
Pour ma part, je me retrouve à la fois dans la droite libérale et dans celle sociale et humanisme. Vieux restes de mon creuset UDF, libéral, social et européen.
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A la première lecture de cette enquête, on ne peut qu’être frappé par la relative sympathie des personnes interrogées à l’égard du FN (28% !). Un taux qu’il faut quand même pondérer car, comme je l’ai fait remarquer plus haut, cette enquête additionne l’ensemble de la droite, extrême compris. A noter le taux très bas de la « proximité avec le FN » dans la famille de la droite « nationale-populaire » (15%) alors même que les commentateurs avisés tendent à amalgamer cette famille avec le FN (cf les débats sur le courant de l’UMP Droite Populaire). Surprise avec le même taux (34% proches du FN) chez les tenants de la droite sociale et humaniste, démontrant la réussite dans l’opinion d’un certain nombre de thématiques « sociales » portées par Marine Le Pen. De là à penser que Laurent Wauquiez, Nora Berra et d’autres, issus de la famille UDF-Orléaniste, opéreraient un rapprochement avec le FN, non ! Mais les résultats sont intéressants car ils créent une ligne de « convergence » qui risque de rendre certaines thématiques difficiles à exploiter par des politiques peu courageux qui auront peur de se commettre avec des propositions également abordées par le FN bleu marine…
La composition de la famille de la droite extrême démontre également que le PS est désormais largement coupé de sa traditionnelle base populaire, grignotée d’un côté par le FN et de l’autre par Mélenchon.
Toujours à propos de la Droite Populaire, et juste pour relativiser le poids de ces nouveaux courants, un autre sondage de l’Ifop, témoigne que seulement 16% des sympathisants de droite déclarent à la fois connaître la Droite Populaire et s’en sentir proches. Ils sont 18% au sein des sympathisants UMP et 12% au sein des sympathisants du Front National.
Bon alors, l’analyse de René Rémond est-elle out ? Pas tant que cela… En effet, si l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy a chamboulé ce classement tant il a pris ce qui lui semblait le meilleur dans chaque famille, le monolithisme affirmé de l’UMP, façon RPR, a conduit les orphelins de telle ou telle tendance à construire chacun sa micro-chapelle. Au risque d’accumuler les « nano-chez moi » au détriment de la vision d’ensemble. Un éclatement, pour l’instant à l’état d’embryon vibrionnant, qui ne résistera peut être pas au rassemblement en cours derrière la candidature de Nicolas Sarkozy. Après ? Nul ne peut le dire, les écuries post présidentielles feront elles la somme ou la division, on a encore quelques mois pour imaginer l’après mai.
Et encore, nous n’avons parlé ici que de filiation, et pas d’idéologie. Mot tabou s’il en est à droite ! Tiens, j’en parlais déjà en mai 2008 (à lire d’un clic ici). Je viens de relire le papier. Je le re-signe des deux mains !
Les profils sociaux-démographiques de l’enquête sont à voir en cliquant ci-dessous
Le Figaro, en avril, en voyait 8, de familles : La famille Borloo, la famille Morin, la famille Villepin, la famille Bayrou, la famille UMP, la famille Boutin, la famille Dupont-Aignan et la famille Villiers.
Et pour faire bon poids, on en ajoutera une 9e, la famille Le Pen.
Et dans ce jeu de 9 familles, comme tu l’explique très bien, quelle part d’idéologie et d’ambition personnelle ?
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Si elle semble de prime abord séduisante, cette enquête pose effectivement la question des « bordures » avec le FN. Les réguliers micro-trottoirs effectués lors des conventions de l’UMP, notamment par le Petit Journal de C+, démontrent qu’une large part des militants les plus anciens en âge, voient d’un bon œil l’évolution apparente du FN sous la férule de la fille.
En fait, si Nicolas Sarkozy avait réussi en 2007 à capter une partie de l’électorat sympathisant du FN, il semble que Marine Le Pen ai repris la main sur cet électorat. D’où l’intérêt de cette analyse qui, au delà de son écume journalistique, doit sûrement être analysée à l’aune des propositions et des convictions afin de tracer des lignes qui pourraient faire « dégonfler » Marine au profit de la droite traditionnelle. Le tout sans affoler les centristes et autres nostalgiques de l’UDF dont Erick fait partie (bien qu’il ait soutenu des deux mains et des deux pieds Sarkozy en 2007 !).
Bon courage aux rédacteurs du programme de l’UMP !
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Bonjour Bernard
merci pour votre post. Et je vous confirme que je ferai de même l’année prochaine, avec peut être moins d’enthousiasme qu’en 2007, mais en utilisant toujours mes deux mains et mes deux pieds !
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« Les statistiques sont une forme d’accomplissement de désir, tout comme les rêves. » Jean Baudrillard.
Bien vu Erick.
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Fantaisie… La droite se définie par son rapport à la hiérarchie sous toute ses formes et sa sensibilité à l’interventionnisme ou non de l’Etat. Renommer la droite par rapport à l’existant alors que la droite française est morte, n’est autre qu’une fable.
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@ Octavius… Honte à toi Octavius de ne pas respecter tes adversaires. Octavius, homme politique romain, père de l’empereur Auguste, fut gouverneur de Macédoine. Qui donna son nom à ce plat si redouté des écoliers à la cantine. Macédoine tout comme la gauche d’aujourd’hui ou l’on trouve tout et son contraire. Macédoine à la sauce lourde comme un accord avec les Verts…
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Ah, honte à toi « Ossevatorio », car je suis un homme de droite ! Et c’est justement parce que cela me donne envie de vomir de lire ce genre de fadaises, que j’ose l’ouvrir ! Il y en a marre de ces patés pour chien que l’on nomme analyses : La Droite française ne sait même plus qui elle est depuis qu’elle fut déboutée par Mitterrand ! Elle s’est muée en une forme packagée d’on ne sait trop quoi avec une touche marxiste pour le marketing politique. Prenom le libéralisme par exemple : Libéralisme sans Etat de droit, n’est pas libéralisme ! Et libéralisme sans force de l’Etat dans ses prérogatives claires et limitées, n’est ni Etat de droit, ni libéralisme. Et quand on voit un Etat qui légifère sur tout alors qu’il y a une majorité de droite à l’Assemblée… Difficile de recoller la mâchoire, celle ci persiste à rester au sol. Quand à l’approche sociale ou nationaliste : des rêveurs, de ces générations soixante-huitarde, brandissant le slogan « peace & love », « Tout ira bien » parce qu’on le dit, qu’on le chante et qu’on le danse ! Entre Eva Joly, Le Pen ou Mélenchon, il n’existe aucune différence. Des mous aux tempéraments politiques totalitaires ! Rien de plus que des rêveurs. La droite était cartésienne, pragmatique, active, respectueuse de l’autorité et consciente que l’organisation permet d’accomplir de grandes choses. Tout cela, il n’en est pas question dans l’étude. Alors ?Quand au nom Octavius, il fut le nom d’Augustus avant qu’il hérite de Caïus Iulius Caesar et devienne, de fait, le premier Empereur de l’Empire romain… Et c’est à cette « symbolique » là que fait référence le pseudo.
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@Octavius. Si vous n’êtes pas lassé des donneurs de leçons qui se disent de droite pour avoir un large spectre insultant et en final servir les potentats socialiste locaux, nous, un peu voire beaucoup.
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@ Jerome Manin : Non, je ne suis pas lassé. C’est un raz le bol. Et vous devriez réviser un peu votre culture politique, l’intervention de l’Etat est une caractéristique socialiste, Monsieur Manin ! Apparemment, vous ignorez les idées qui distinguent justement la droite de la gauche. C’est pourtant simple : un Etat aux pouvoirs limités, la liberté et la propriété sont défendues par la droite, un Etat interventionniste, le remplacement des individus par la logique de masse et la mutualisation des richesses sont l’apanages de la gauche. L’une veut des hommes responsables, l’autre recherche des hommes asservies. Que fait l’UMP, Monsieur Manin ?
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