« Le Goncourt, on l’achète, mais on ne le lit pas ! » Exclamation toute faite qui caractérise les bibliothèques de salon… Pour ma part, mes fils m’ont offert « L’art français de la guerre » pour mon anniversaire, il y a quelques semaines. Ce qui m’a permis de lire les 632 pages du premier livre du lyonnais Alexis Jenni bien avant le déjeuner fatidique du jury chez Drouant.
L’écriture y est magistrale, parfois flamboyante. Les mots forment avec régularité un syntagme parfait, que j’aurais aimé écrire. L’histoire de ce roman d’aventures (forcément avec un « s ») raconte les utopies perdues de cette « guerre de 20 ans » qui court de la débâcle de 40 à l’Algérie, en passant par l’Indochine. Et une rencontre entre un ancien para, Victorien Salagnon, aux illusions noyées dans le même puits sans fond qu’une certaine ambition française, et un jeune homme à qui il apprend la peinture à l’encre. Celle qui le sauva de la solitude et du désespoir dans la fureur des combats. Cette encre, noire, qui une fois tracée révèle le blanc, comme en écho. Tout simplement bipolaire.
Pour Frédéric Beigbeder, dans Le Figaro, ce livre « est un chef d’œuvre que tous les Français devraient lire pour, enfin, être à nouveau capables de dire « nous ». »
Et pourtant, comme un fil d’encre noire, « L’art français de la guerre » laisse un trait qui peut sembler amer ; et qui trouve une résonnance dans l’actualité du monde où la suprématie de l’Occident vacille, où les cartes sont en train de se rebattre au profit, notamment, d’un nouvel équilibre des forces.
De nouvelles problématiques sont aujourd’hui nôtres : la mondialisation culturelle, les chocs identitaires et religieux, le défi écologique, l’uniformisation linguistique et culturelle, l’émergence de géants économiques incontournables, l’inégalité et la crise financière mondiale.
Un monde équilibré doit être multipolaire, non seulement sur les plans politique et économique, mais également sur le plan culturel, et ainsi réussir le dialogue des cultures. C’est le pari de la Francophonie, née des décombres des guerres coloniales de Salagnon, par et pour les peuples anciennement soumis. La Francophonie du 21e siècle est donc bien plus qu’un laboratoire de la mondialisation humaniste, en raison des valeurs qu’elle promeut, des biens communs qu’elle défend. Elle se bat au quotidien pour le dialogue interculturel, contre les replis identitaires.
Cela tombe bien, le prix Goncourt 2011 pose aussi une réflexion sur la langue, l’éducation et la transmission. On est donc loin d’un « voyage au bout de la nuit », noire comme cette encre à dessin. Il y a, dans cette épopée, comme un écho, une lueur d’avenir. De celle qui combat l’amnésie d’une nation, et qui sait que seul le dialogue des cultures apportera la paix civile dans la maison.
Ceci est ma chronique mensuelle parue le 10 novembre dans Tribune de Lyon
2 finalistes lyonnais et le gagnant, la chose est suffisamment rare pour être saluée.
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« Peut-être dit-on moins de sottises qu’on n’en imprime. » Edmond et Jules de Goncourt
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Romain Blachier mérite un prix ! Entre le larbinat élevé au rang de religion, la cuistrerie comme service municipal, et l’emploi peu dense© au rang spécialité locale, on hésite garve.
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Bravo pour ton analyse du livre exceptionnel de Jenni.
La richesse du vocabulaire, le style, la composition scenique du livre, en fait un ouvrage de la grande litterature française.
Depuis des années je rassemble les Gongourt, le premier est ce lui de Nau en 1903, dans l’ édition de leur année de nommination. Il y a eu beaucoup de navets, mais celui-là merite vraiment sa nomination, en plus un lyonnais! On peut en profiter pour rappeller que l’on a eu un Lyonnais « élu » au Nobel l’an dernier!
Nicole
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