Tous les mois, ou presque, j’ai droit à la même phrase du rédac’chef de Tribune de Lyon. « C’est trop long, Erick. Il va falloir couper. » Echange parfaitement en phase avec un monde où tout doit tenir en quelques lignes, voire en un tweet. Un monde où l’information coule à flux continu, dans un trop plein désordonné qui réussit l’exploit de dire tout en brouillant le sens et les perspectives. Un monde de consommation, de boulimie, d’engloutissement, où le recul, l’analyse, le temps donnés aux mots est de plus en plus anorexique.
« C’est trop long, Erick. Il va falloir couper. » Alors, j’ai décidé de tailler moi même dans mon papier de Tribune de Lyon de ce mercredi. En voici l’intégralité sur mon blog, la version allégée est en kiosque ce matin… Bien fait, m’sieur le rédac’chef !
De nombreux supports d’information sont sous perfusion de leurs actionnaires. La faute à pas de chance diront certains, mais si c’était en partie une crise des contenus ? Nous vivons dans le présent absolu. Le futur, c’est maintenant et la presse est bien souvent en retard d’une heure, à fortiori lorsqu’elle est écrite. Deux chemins : aller plus vite, et ouvrir grand les vannes, ou aller plus profondément. C’est le choix de deux supports d’information qui dérangent. Une prise de risque, et sans une once de publicité…
XXI, tout d’abord. Il y a la couverture, essentielle. Beaucoup de titraille et un dessin. Un format ensuite. Grand, qui détonne dans le rayon. Et puis un poids, plus de 200 pages. Livre, revue ? Je ne sais toujours pas. Un peu des deux, sûrement. Depuis 2008, à raison d’un numéro par saison, XXI prend le temps du récit, du voyage, de la découverte du monde, préférant la vérité des choses vues et des êtres rencontrés.
Dans l’édito du numéro 1, Laurent Beccaria, l’éditeur, et Patrick de Saint-Exupéry, grand reporter (rapporteur ?) et Prix Albert Londres (le Nobel des Journalistes avec le Pulitzer), écrivaient
« Messieurs, vous apprendrez qu’un reporter ne connaît qu’une ligne, celle du chemin de fer », répliqua Albert Londres en claquant la porte du Quotidien, le journal qui l’employait et dont les dirigeants lui reprochaient de ne pas être « dans la ligne ». (…) Albert Londres préférait la vérité des choses vues et des êtres rencontrés. Il allait là où les autres passaient leur chemin et aimait ceux dont il racontait le destin, qu’ils soient forçats de la route ou bagnards de Cayenne, fous à l’asile ou pêcheurs de perles. Et il était lu. Les courbes de ventes épousaient le rythme de ses reportages. Il arrivait que les lecteurs fassent la queue à la sortie des rotatives, en pleine nuit ! Ce journalisme est éternel, seules ses formes changent. Il est toujours aussi nécessaire. L’information s’est multipliée, et notre regard s’est rétréci. Prendre le temps, se décaler, redonner des couleurs au monde, de l’épaisseur aux choses, de la présence aux gens, aller voir, rendre compte : telle est la volonté de XXI.«
Tout est dit… Pour eux, « Le XXIe siècle va s’écrire comme un roman. » Et le dernier numéro, le 26, est en kiosque et en librairie depuis début avril. Lisez-le, vous ne serez pas déçu… Le dossier court sur une quarantaine de pages au travers de 3 sujets sur le thème de « Rebondir, ils transforment leur vie. » Au fil du numéro, on file de Port aux Princes à l’Inde, du Congo au Médoc. A chaque article son histoire, du texte à lire, des dessins à voir. Ca sent bon la vie et la magie du récit. 13 journalistes ont parcouru le monde à leur rythme pour rapporter ces « forêts de choses », comme l’écrivait le grand reporter polonais Ryszard Kapuscinski.
L’autre OVNI éditorial a vu le jour il y a trois semaines. Le 1 est son nom. OVNI car si vous achetez un A4, il se déplie au fil de la lecture pour devenir le plus grand journal de France, une « aile d’oiseau » de 84 cm d’envergure ! « En ouvrant Le 1, vous ouvrirez vos bras et votre esprit. Du yoga en origami. »
L’angle éditorial de cet hebdomadaire du mercredi, c’est un seul sujet par numéro. Traité en profondeur, sous différents angles grâce aux regards croisés d’écrivains, de journalistes, d’anthropologues, d’historiens, d’artiste, de poètes… Concentré de regards intelligents sur un même sujet.
Eric Fottorino, ancien rédacteur en chef du Monde et co-fondateur du journal, estime que
« Le 1 n’a pas réponse à tout, il a question à tout. Aujourd’hui, les médias négligent la complexité. Cette complexité, on va essayer de l’approcher. Son titre porte en lui notre volonté d’innover. Il s’appelle Le 1. Le 1 pour affirmer l’unité du savoir. Le 1 car nous traiterons chaque semaine d’une grande question. Le 1 car notre support consistera en une seule feuille, sans agrafe ni page volante. Le 1 pour affirmer l’unité du savoir de manière unique, en rapprochant la connaissance et le sensible, l’expertise et le poétique. Le 1 car nous voulons retrouver chaque semaine le souffle et l’énergie d’un premier numéro. »
Le numéro 3 (le n°4 sort ce mercredi) est au cœur de l’actu: ces jeunes qui vont se faire voir ailleurs. Régis Debray, Erik Orsenna, Antoine Pécoud, Gilles Babinet.. les regards sur le monde sont variés, au fil du dépliage. Et la promesse est tenue : « Être instructif plutôt qu’exhaustif. Inspirer autant qu’informer. Lire court pour penser longtemps. »
XXI et Le 1, deux approches de la profondeur, du temps et du récit. C’est rare et ça marche. XXI vend à plus de 50 000 exemplaires et Le 1 a engrangé plus de 1 000 abonnés en deux numéros ! Preuve qu’il y a un besoin. Celui de se poser, de partir en découverte, de comprendre, de retrouver le souffle des événements, de disposer d’un contrepoint à l’internet et aux chaînes d’information en continu où tout n’est qu’éphémère. Et ça, ce sera toujours trop court !
http://www.revue21.fr/
« Il va falloir couper … » un rabin avait dit la même chose une fois … Bon papier et découverte de deux supports par moi inconnus … A découvrir en ce long week end !
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