« Balles tragiques à Charlie Hebdo : 12 morts »* aurait pu dessiner Charb, le patron de Charlie Hebdo, dans son édition de demain… Il a suffit de quelques balles pour faire tomber les crayons. Leur crime ? Avoir porté ce que l’on appelle l’esprit français, fait de satire et d’humour, de légèreté et de profondeur, parfois vulgaire et gras, souvent choquant, toujours bien vu, sonnant juste, là où ça fait mal.
La satire, c’est d’abord le droit (le devoir ?) de critiquer, en les ridiculisant, les défauts ou les mœurs de ses contemporains. Et souvent des puissants. Une spécialité française. Relisons le « Roman de Renart », « Guargantua » ou les pièces de Molière, dont je viens de finir une fantastique biographie parue chez Actes Sud. Guignol, ce fils de Lyon, en passant par ceux de Paris, sur Canal +, les fous des rois de France ou encore les chansonniers des Deux Anes. L’esprit français !
Pierre Desproges, un maître en dérision, estimait que « l’on peut rire de tout, mais pas avec n’importe qui ». Effectivement, ces trois terroristes avaient choisi de ne pas rire. Au nom d’un Dieu qui pour eux est un Dieu de mort, alors que pour les peuples du livre, c’est un Dieu d’amour.
La tragédie est une constante de la littérature anglaise, tout comme le rire a été, de tout temps, un marqueur des gens de lettre en France. A midi, la tragédie a remplacé le rire. Le masque des comédiens s’est retourné. Il grimace. Il pleure.
Bête et méchant, c’était Hara-Kiri, l’ancêtre de Charlie Hebdo. Bête et méchant, ce sont ces trois terroristes qui ont choisi d’exécuter la farce, le rire et la satire. Ce soir, place des Terreaux à Lyon, nous étions plus de 20 000. Je pensais à ces journalistes, ces anonymes exécutés, des policiers et ces vedettes de la satire. Dans ma tête, je fredonnais le chant des partisans, admirable texte de Joseph Kessel.
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne ?
Ohé ! partisans, ouvriers et paysans, c’est l’alarme !
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes. »
Et demain ? la vie va continuer. Et nous choisirons de porter haut l’esprit français !
* En clin d’œil au titre polémique d’Hara Kiri le lendemain de la mort du Général de Gaulle « Bal tragique à Colombey : un mort »
6 février 1770. Voltaire dans une correspondance avec l’abbé Le Riche « Monsieur l’abbé, je déteste ce que vous écrivez, mais je donnerai ma vie pour que vous puissiez continuer à écrire. »
RIP
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Et pour ceux qui n’ont pu participer hier soir, il restera samedi pour porter encore plus haut l’esprit de liberté qui doit tous nous réunir.
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Je suis un protestant français, ou plus exactement un citoyen français de religion réformée. C’est-à-dire issu d’une religion ultra-minoritaire, persécutée par l’Etat pendant 270 ans. Mes ancêtres sont devenus citoyens français à part entière grâce à la Révolution et à un vote de l’Assemblée constituante fin 1789. Nos compatriotes juifs devront attendre 1791. Mais depuis la Révolution, on peut être français sans être catholique, et depuis la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, on est français avant d’être catholique.
Cette loi de 1905, qui invente la laïcité à la française, fait de tous les citoyens français des égaux, quelle que soit leur religion, ou leur non religion. Cette loi de la République protège donc tout particulièrement les religions minoritaires, les juifs et les protestants autrefois, les musulmans aujourd’hui.
D’où l’attachement très fort des protestants français aux valeurs de la République, et tout particulièrement à celle de la Laïcité qui nous permet de vivre ensemble. Je ne veux pas parler pour mes compatriotes juifs, mais je pense que l’immense majorité défend la laïcité à la française pour les mêmes raisons que les protestants français.
Et pour ces mêmes raisons les musulmans français devraient défendre eux aussi la Laïcité. Or que constate-t-on ? On constate malheureusement que cette valeur fondamentale de la République est étrangère à l’Islam. Je ne parle pas ici des pays étrangers peuplés en majorité de musulmans, qui associent tous la Religion à l’Etat. La seule exception était la Turquie, qui malheureusement est en recul très net depuis quelques années. J’espère que la Tunisie va reprendre le flambeau d’un islam laïc. Sa constitution présente des avancées certaines, mais elle réaffirme que la Tunisie est un pays musulman.
Or depuis 1905 la France n’est plus un pays catholique. Les musulmans français sont des citoyens ayant absolument les mêmes droits que les autres, et les mêmes devoirs, ceux de respecter les lois et les valeurs de la République, dont la première la Laïcité. Sans Laïcité, pas de liberté, religieuse, de la presse, pas de Fraternité ni d’Egalité entre les citoyens d’origines différentes. Les musulmans français devraient tous oublier les lois et coutumes des pays dont leurs parents sont originaires, et se réjouir de la Liberté que la France autorise grâce à la Laïcité. Beaucoup le font certainement individuellement, mais leurs représentants élus, souvent en fait représentants des cultes de leurs pays d’origine, Maroc ou Algérie principalement, combattent cette idée de Laïcité, comme l’Eglise catholique l’a fait en 1905. L’Eglise catholique était alors très largement majoritaire, et elle perdait sa prééminence. On comprend qu’elle ait lutté contre ce principe. Aujourd’hui c’est ce principe qui protège les musulmans français.
Les musulmans français ne l’ont malheureusement pas tous compris. Ils ne l’ont pas compris lorsqu’ils ont voulu faire condamner « Charlie Hebdo » pour avoir caricaturé leur prophète. Alors que « Charlie » avait caricaturé cent fois plus Jésus, le Pape, le clergé pédophile, et j’en passe. Certes l’immense majorité des musulmans français ne s’est pas réjouie de la mort des dessinateurs, qui n’en sont pas moins à leurs yeux des blasphémateurs. Certains ont pensé, et même écrit, il suffit de lire ce qui s’écrit sur les réseaux sociaux sur le net et qui est effrayant, que ces blasphémateurs avaient eu ce qu’ils méritaient. Beaucoup de jeunes musulmans français ont refusé de s’associer à la minute de silence dans les écoles de banlieue.
J’entends déjà les bien-pensants dire « ne faites pas d’amalgame ». A ceux-là je conseille la lecture de deux articles remarquables de courage et de lucidité. Le premier est paru dans «Le Monde » du 10 janvier sous la plume de Guillaume Bigot qui dit « qu’il n’y a aucune paroi étanche entre l’Islam dit modéré et l’islamisme djihadiste, mais un immense dégradé ». Et à ceux qui ne seraient pas convaincus, sous prétexte que M. Bigot voit l’Islam de l’extérieur, je conseille la lecture de « La lettre ouverte au monde musulman » du philosophe français musulman Abdennour Bidar qu’on trouve sur le blog de l’Oratoire du Louvre. M. Bidar, normalien, a écrit sa lettre ouverte en octobre 2014, et elle est prémonitoire. Il écrit que le monde musulman est en train d’enfanter un monstre, et qu’il refuse de reconnaitre que ce monstre est né de lui, de ses errances et de ses contradictions. Pour lui l’origine du mal vient de ce que l’Islam est « une religion politique, sociale, morale, devant régner comme un tyran aussi bien sur l’Etat que sur la vie civile », une « religion tyrannique, dogmatique, littéraliste, formaliste, machiste, conservatrice, régressive », avec « un refus du droit à la liberté vis-à-vis de la religion ». En gros une religion comparable à la religion catholique d’avant la Réforme au XVI ème siècle, d’avant la Révolution française, d’avant les lois sur la laïcité de 1905.
Qui sera le Luther ou le Calvin de l’Islam ? Comment faire cette révolution culturelle ? M. Bidar propose une solution : réformer toute l’éducation donnée aux musulmans, dans les écoles, les lieux de savoir et de pouvoir. Facile à dire, plus compliqué à faire.
Comment faire accepter la Laïcité par les musulmans français ? En l’enseignant, en l’expliquant, dès le plus jeune âge dans les écoles françaises de banlieues et d’ailleurs. Il faut pour cela reprogrammer des véritables cours d’instruction civique comme nous en avions autrefois, il n’y a pas si longtemps, dans les écoles de la République. Je crains que les mêmes bien-pensants m’accusent d’être un vieux réac, et que quelques enseignants syndicalistes fassent peur au Ministre de l’éducation nationale. Nous aurons alors raté une occasion historique de se donner les moyens d’une véritable intégration de la communauté musulmane française.
Charles-Henri Malécot
Citoyen français protestant
Chevalier de la Légion d’Honneur
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