863 voix et après ?

Sochaux

 

 

Le 12 novembre dernier, j’étais à Sochaux, au cœur de cette France historiquement industrielle. Pierre Moscovici venait de démissionner de sa fonction de député. Mon papier titrait « A Front renversé ». Le score du FN perçait déjà au comptoir du Café du Commerce.

3 mois plus tard, l’UMP est sèchement éliminée de cette partielle et la candidate FN titille celui du PS à 863 voix ! Et maintenant, on fait quoi ?

 

Ils ont perdu et pourtant, à les entendre, cette défaite à 863 voix résonne comme une victoire. Ou plutôt comme une défaite, celle de l’UMP et d’un système à bout de souffle. En témoigne la forte progression du FN entre les deux tours, comme dans de nombreuses partielles. Invalidant dans les faits la stratégie du conseil avisé aux électeurs qui, in fine, font bien ce qu’ils veulent.

Il y a trois mois, j’écrivais :

Et je sens bien qu’ici, la tentation d’élire un troisième député FN est présente dans tous les esprits. Dans ce territoire historiquement industriel, on touche du doigt cette France périphérique décrite par Christophe Guilluy dans son dernier livre. Un département qui avait placée Marine Le Pen à la seconde place au 1er tour des présidentielles, 12% devant Nicolas Sarkozy…

Entre deux cafés, le désespoir de ne plus comprendre cette France d’en haut, et de se sentir incompris, délaissé, méprisé, est palpable. Ici comme ailleurs, l’aristocratie politique n’est plus en phase avec le tiers-état. A Marie-Antoinette qui voulait leur « donner de la brioche », on entend Marine répondre « Foutons-les dehors ! »

Nous avons, une fois de plus, une fois de trop, confirmation que le FN est en phase avec les périphéries rurales des villes, à fortiori d’histoire industrielle, et séduit un ex-électorat de gauche dans des cités de tradition ouvrière, donc populaire.

Près de 50% des électeurs ont voté pour un parti qui n’est pas considéré comme « républicain » par le reste du spectre politique. Et 50% du corps électoral n’est pas allé voter.

Je regardais à midi le Supplément sur Canal +. Aurélien Legrand, ex militant d’extrême gauche, aujourd’hui cadre du FN, expliquait son passage d’un extrême à l’autre de l’échiquier. Pour lui, le FN est « populaire, social et national ». Tout tient dans ces trois mots, très bien expliqués dans les deux livres de Christophe Guilluy qui, en géographe avisé, analyse cette évolution des mentalités dans cette France périphérique aux métropoles. Pour lui, les classes populaires ne font plus partie du projet économique…

Une analyse enrichie par le politologue Frédéric Dabi (IFOP), enquêtes d’opinion en main, « Le gaucho-lepénisme existe, notamment sur des terres désindustrialisées, mais quand on regarde la structure de l’électorat FN, il est très largement de droite. Et Le Pen peur supplanter l’UMP. »

Le journaliste André Bercoff, dans Le Figaro, analysait les résultats du Doubs dès le lendemain…

« On l’a bien vu hier, en modèle réduit : les villes (Audincourt) ont voté largement PS, mais les bourgades, encore plus largement, FN. En France, les métropoles productives qui rassemblent bobos et immigrés votent pour les partis de gouvernement. La périphérie, les villes pavillonnaires, les villages, les campagnes, face au train de la mondialisation et autres Swissgate, qu’ils regardent passer médusés et qui représentent plus de la moitié de la population: paysans, ouvriers, employés, petits commerçants, artisans, retraités etc… se sentent de plus en plus laissés pour compte et ne savent plus dans quel pays ils habitent, devenus inconsciemment variables d’ajustement pour des gouvernants qui les ont, depuis longtemps, passés par pertes et profits. Du coup, ayant voté RPR puis UMP et ayant apprécié les résultats, apporté leurs suffrages au PS et constaté à quel point le changement, c’est maintenant, ils se retournent vers la seule offre politique non encore essayée. Les aberrations économiques du programme marinesque ne les effrayent pas, eu égard à la situation régnante. Quant au Front républicain, n’y croient plus que certains bateleurs dont le disque dur s’est arrêté aux années 50. Car de deux choses l’une : ou le FN est un parti fasciste et factieux et il faut l’interdire, ou il appartient en propre au paysage politique et il faut l’accepter comme tel, quitte à le combattre avec les armes de la raison et de l’esprit critique. »

 

 

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Durant des années, la Droite n’a pas compris que le FN prospérait sur ses propres insuffisances, gagnant jour après jour en respectabilité. « Ce qu’ils veulent, ce qu’ils programment, c’est notre peau ! » s’est exclamé Alain Juppé lors du dernier conseil national de l’UMP, il y a une semaine.

Et là, il faut bien se rendre à l’évidence, le chœur des vierges qui répète en boucle, tel un mantra, que le Front national serait un parti antirépublicain n’est plus crédible pour une bonne part de l’opinion publique. Pour elle, Marine Le Pen parle simplement vrai.

La droite doit aujourd’hui se remettre au travail sur un projet crédible et courageux. Et cesser de penser que Nicolas Sarkozy est le sauveur du monde. Face à un parti qui en veut « à notre peau », il convient d’abord de se remettre en question, sur le fond comme sur la forme. Car un 21 avril à l’envers n’est pas exclu. Dès la percée électorale frontiste des années 1983, la droite a théorisé le fait qu’elle avait, face au FN, une sorte de légitimité sur l’exercice du pouvoir. Le RPR, puis l’UMP, ont toujours considéré le FN comme une menace de premier tour. Et organisé leur monde selon le tryptique traditionnel : démocrates-chrétiens, libéraux et conservateurs. Alors qu’il faut y ajouter aujourd’hui une sorte de « national-populisme » aux frontières de plus en plus poreuses avec l’électorat traditionnel de droite, le nouveau monde dans lequel nous tentons de survivre aidant.

Enfin, il serait temps que l’UMP admette que son actuel président n’a pas « tué »le FN lors de la présidentielle de 2007 et que la ligne droitière de la dernière présidentielle n’a pas asséché les ressources électorales frontistes qui préfèreront toujours l’original à la copie.

 

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Troisième force politique du pays, le FN veut forcer au tripartisme. Le tripartisme, c’est la possibilité de gouverner ensemble pour au moins deux des acteurs.

Et le FN vient clairement de fixer sa règle du jeu pour les prochaines départementales… On se croirait revenu aux régionales de 1998 qui avaient bien failli provoquer l’implosion de la droite et du centre…

« C’est très simple, explique Florian Philippot, vice-président du FN. Dans les départements où le FN pourra faire la bascule, pour le troisième tour (nota : l’élection du président des conseils départementaux), nous aurons plusieurs exigences que nous proposerons à tout le monde. Ce seront des exigences politiques, des arguments de bon sens, des choses relatives aux compétences des conseils départementaux, sur les questions sociales, les handicapés, les personnes âgées, la lutte contre le communautarisme dans la petite enfance, la sécurité des collèges avec la vidéo-surveillance. Nous soutiendrons les personnes qui approuveront ces points, sinon nous ne soutiendrons personne. Nous ferons cette proposition à tout le monde pour former une majorité. »

Et je vous fiche mon billet que, tout comme en 1998, ces propositions seront tellement naturelles qu’elles figureront en bonne place dans le programme de l’UMP et de l’UDI !

Partant de là, je ne vois que deux issues : faire sauter le tabou des alliances en espérant que l’épreuve du pouvoir soit aussi défavorable au FN qu’elle l’a été au FPO autrichien ou au parti de Gianfranco Fini en Italie ou ramener le FN à un étiage si bas que l’UMP redevienne le leader naturel de son camp, position qu’elle est mécaniquement en train de perdre. D’autant qu’elle offre lors des débats sur cette thématique l’image d’un poulet courant sans objectif et sans tête !

 

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Les études (et mes conversations du matin dans les bistrots des villes où sont mes clients) montrent que la porosité entre l’électorat UMP et celui du FN progresse, que la conclusion d’accords locaux n’est plus un tabou, que le centre de gravité idéologique de l’UMP se déplace vers la droite.

Dans le même temps, la stratégie de « normalisation » conduite par Marine Le Pen rend désormais caduque la réduction de son parti à la seule extrême droite. Double contrainte qui ne laisse plus le choix à l’UMP : elle ne peut que lancer l’offensive programmatique contre un FN qui constitue pour elle un adversaire aussi puissant que la gauche. Ensuite, elle doit espérer que son électorat suive.

Dans mon papier écrit depuis Sochaux, j’écrivais

« Qui saura, à droite comme à gauche, parler vrai, reconnaître que nous sommes en faillite et trouver les moyens de reconstruire, redonner confiance aux entrepreneurs et aux créateurs de richesses, créer les conditions favorables au redressement, bref faire le job ? A Pôle Emploi, ce descriptif de poste n’existe pas. Et pas sûr qu’il y ait beaucoup de candidats. Alors faut-il se désespérer ? Non, car c’est dans temps exceptionnels que se révèlent les caractères. Et là, il faudra « du lourd », un patron, pas un président banal de normalité. C’est notre seule chance de pouvoir jouer à Front renversé. »

Je n’en renie pas une ligne. Et je suis sûr qu’au Café du Commerce de Sochaux, une majorité signe des deux mains !

 

 

Les Commentaires ( 1 )

  1. posté le 16 fév 2015

    La politique ne reprendra du sens et de l’intérêt qu’en reprenant le langage de la Vérité. Il faut arrêter de croire que la politique stratégique politicienne fera élire juste avec une étiquette « anti quelque chose ». Sans un programme concret avec de vraies propositions, une remise en question sérieuse et des analyses de terrain, en se penchant réellement sur les problèmes des français – le FN aura de beaux jours devant lui!

    Merci Erick pour cette excellente analyse de qualité et perspicace.

    Anne

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