J’ai volontairement attendu que les avis de tous poils et les cassandres baissent d’un ton avant de me mettre à mon clavier. Car comme le disait si bien Giscard sur TF1 hier soir : « Il ne faut pas exagérer, on en peut pas dire que les Britanniques sortent d’une Union européenne… dont ils ne faisaient pas vraiment partie ! »
L’Europe, c’est compliqué. Alors que ça pourrait être si simple pour nous, européens de base !
Mais, comme le rappelait VGE, toujours aussi lucide et engagé, nos « dirigeants, depuis maintenant un certain temps, ont cessé de montrer un avenir pour l’Europe » et se sont trop concentrés sur le règlement de « problèmes du présent. Ce n’est pas très enthousiasmant pour faire avancer l’Europe ».
En élargissant l’UE à 28 membres, « on a créé un système qui ne pouvait pas fonctionner et il n’a pas fonctionné. (…) L’Europe à 28 a été improvisée. » Tout est quasiment dit..
En juillet 2015, j’écrivais sur ce blog (ici)
Le monde change. Cette Europe qui nous faisait rêver et qui, étudiants, était notre espace de jeu ne fait plus fantasmer personne. Le monde est l’espace de jeu des jeunes qui, dans leur grande majorité, ne croient plus en une Europe distante, désincarnée. Une Europe qui, le jour où elle a décidé, à l’initiative de Jacques Chirac, de refuser dans sa constitution la mention de ses « racines chrétiennes » a tourné le dos à une partie de son identité. Une identité longuement citée à l’heure du choix grec.
L’Europe doit faire face depuis des années à un profond malaise concernant le fonctionnement de ses institutions. Son élargissement à marche forcée rend le système de plus en plus ingouvernable. Pire, en accentuant les disparités culturelles, il stimule le retour aux préférences nationales. Enfin, depuis la fin du second mandat de Mitterrand, nous assistons quasi impuissants à la disparition du récit européen qui, progressivement, devient absent des campagnes électorales et du discours politique. Une bonne partie des politiques français considèrent comme une voie de garage le Parlement européen, là où les autres pays européens envoient une partie de leurs élites !
Giscard avait lancé il y a quelques années « Il faut un président à l’Europe ». L’objectif était d’incarner cette Europe que nous trouvons tellement éloignée de notre quotidien, et pourtant si proche… Depuis des temps immémoriaux, les pièces de monnaie étaient frappées du visage du souverain. Qui est le véritable « souverain » de l’Europe ?
Juin 2016, j’écrivais encore à propos des l’élection de la Commission… (ici)
L’Europe, sans visage, s’est progressivement perdue dans les méandres de ses élargissements. Confrontée au quotidien, elle n’a plus su faire rêver, donnant l’image d’une pieuvre administrative, ce qui est loin d’être le cas. Où sont aujourd’hui les Giscard, les Schmidt, les Mitterrand, les Adenauer, les Monnet ? Seul le libéral belge Guy Verhofstadt a su, dans les débats, avoir la foi des bâtisseurs face aux candidats conservateur et socialiste à la présidence de la Commission. Deux clones, des hommes en gris aux politiques si communes.
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Le récit. Tout est la. L’Europe pour qui et pour quoi faire ?
Cela fait des années que dans les entreprises, avec mes collaborateurs et associés, nous travaillons sur le sens. La réponse au pourquoi en amène d’autres, parfois plus individualistes, pourquoi faire ? et moi dans tout ça ? qu’est-ce que j’ai à y gagner ? Mais sans réponse, pas d’engagement, pas d’aventure commune.
Il y a plus de trente ans, Jacques Delors écrivait que « personne ne tombera jamais amoureux d’un marché intérieur« . Il avait oh combien raison… Ni la monnaie unique partagée par 19 pays, ni Schengen et ses 26 Etats européens, ni les élargissements à répétition, de 12 Etats membres en 1986 à 28 aujourd’hui, n’ont créé une vraie relation fusionnelle entre l’Europe et le citoyen.
Depuis trois décennies, l’Europe a préféré parler au cortex, négligeant le lymbique. Au cerveau, au portefeuille, aux procédures et process de tout poil, plutôt qu’au cœur, à l’âme, à l’épopée, à la « grande œuvre » commune. Bref, nous avons eu collectivement tout faux !
La mondialisation et ce nouvel état du monde que d’aucuns nomment la crise font ressurgir les nationalismes, les populismes et les replis sur soi. En France comme ailleurs en Europe. Réflexe classique, j’ai peur, je me protège, tout est de la faute de l’autre, négligeant que l’Europe a été créée pour protéger. Sous les assauts de la globalisation et de la digitalisation, la Nation semble être, face à l’Union, la bonne réponse aux craintes de perte d’identité des Européens.
C’était il y a deux siècles. Victor Hugo écrivait, « un jour viendra où vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne […] La fraternité engendrerait la solidarité […]. Saluons l’aube bénie des Etats-Unis d’Europe« .
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Ras-le-bol ! La France, l’Europe aussi, est clairement scindée en deux mondes. Celui de la mondialisation heureuse et celui qui, à tort ou à raison, a peur de cette mondialisation.
Les résultats du vote du Brexit rappellent ceux des dernières élections en France. Les « vainqueurs du jour », partisans du Brexit, sont en majorité âgés et d’un niveau socio-culturel souvent moins élevé que la moyenne. Avec 51,9% des voix et 72,2% de participation, le peuple a tranché. Respect. Ils ont bravé l’avis des économistes, des experts de tout poil, de leur Premier Ministre, des autres pays de l’Union. Bref, comme on dit dans les faubourg cockney « Piss off Europe! ».
En fait, tout comme en France et aux USA avec le phénomène Trump, leur vote exprime d’abord une révolte contre l’establishment. Celui de Bruxelles comme celui de Londres.
En votant « contre l’UE », ils expriment surtout leur ras-le bol d’être des laissés-pour-compte et leur crainte d’un déclassement. J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur ce blog mon sentiment sur la question à l’occasion d’élections en France (à lire ici par exemple). Ils sont en colère, ils ont peur, ils ne se sentent ni écoutés et compris, et d’ailleurs plus personne ne leur parle. Avant la grand messe du 20 heures, on leur vante la 4G à 19,90 euros, et eux ils n’ont droit qu’à internet via le satellite à plus de 100 euros ; on leur vante les bénéfices de la mondialisation, et ils n’en voient que les pots cassés ; la mondialisation rime pour eux à des abandons de service (au) public (poste, santé…) ou à la fermeture du dernier bistrot ou du boulanger, premiers acteurs du lien social ; face à la progression du nombre de milliardaires, ils ne peuvent que constater que la casse sociale a déjà eu lieu il y a bien longtemps et, face aux friches industrielles ou aux exploitations agricoles exsangues, ils se demandent quand cela va finir. Oui, leur colère est compréhensible, d’autant que personne ne leur parle, comme s’ils étaient des citoyens de seconde zone. Et ils ressentent l’arrivée massive de travailleurs étrangers, issus ou non de l’Union européenne, comme une menace supplémentaire pour leur niveau de vie. Allez donc vous étonner que les jacqueries reprennent, bulletin de vote en main.
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Et la jeunesse ? 75% des moins de 25 ans se sont déclarés favorables au maintien dans l’Union européenne ! Un pays qui se prétend dynamique et ouvert peut-il tourner le dos à sa jeunesse ? Amusant, l’opportuniste Boris Johnson, le mal coiffé, hier maire de Londres et idole d’une jeunesse mondialisée, a été hué par une foule de jeunes Londoniens alors qu’il quittait son domicile quelques heures après la publication des résultats. »Shame on U! »
Et ce partisan du Brexit a, dans sa réaction (pour une fois très modérée) à la victoire de son camp, souligné que « nous ne pouvons pas tourner le dos à l’Europe. Nous faisons partie de l’Europe » (…) les jeunes « continueront à profiter et à voyager en Europe ». Ben voyons, le beurre et l’argent du beurre. Car il a bien compris que le Royaume-Uni, menacé d’implosion, doit parler à sa jeunesse et désormais gérer une triple crise politique, sociale et générationnelle.
En attendant, que raconter à la génération Erasmus pour qui l’Europe est d’abord un espace commun, des opportunités, mais si peu un pays-continent ? Et que dire à mes filles qui sont encore loin des études supérieures, moi qui suis fondamentalement fédéraliste…
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Opportunité pour l’action. Comme l’écrivait Christophe Barbier dans son édito d’hier…
Le Brexit est une grande bonne nouvelle pour l’Europe! Si les nationalistes de tout poil s’en réjouissent aujourd’hui, si les populistes pensent en profiter, il est possible de les faire déchanter. Oui, l’Europe a échoué dans son rêve de prospérité, a abandonné son idéal d’union politique, a trahi sa promesse de servir les peuples. Mais la réponse à cet épuisement de la première Europe n’est pas dans le repli nationaliste, elle est dans la relance du projet fédéral, dans l’intégration complète des politiques et d’abord dans la fusion franco-allemande pour les stratégies économiques, sociales et fiscales.
Une nouvelle Europe est nécessaire. Avec moins de pays, avec plus d’Union. France, Allemagne, Belgique, Italie, Espagne… Ce noyau dur, englobé dans l’Europe de l’euro, peut donner naissance à une Union européenne 2.0, où les grandes orientations sont choisies ensemble et identiques entre toutes les nations. L’Europe des cercles concentriques, pensée il y a vingt ans par Jacques Delors, doit se mettre en marche. Le plus large, qui s’arrête à la frontière de la Turquie et à celle de l’Ukraine, est celui de la paix – il demeure essentiel; le suivant est celui de la libre circulation des biens et des citoyens – il appelle des protections nouvelles; le troisième cercle, dense et consolidé dans la crise, est le groupe de l’euro – il est temps d’utiliser la monnaie unique comme un vrai outil économique; le plus petit, mais le plus ardent, doit être ce nouveau cercle qui passera de l’union à la fusion – c’est maintenant qu’il faut le créer.
La leçon du Brexit est simple: une seconde chance est donnée à l’Europe politique, et jamais le projet fédéral n’a été plus nécessaire.
Notre classe politique sera-t-elle à la hauteur du moment ?
Et puis, avec quel récit ? Le sens, Christophe, le sens…
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