« Choisir un homme, fût-il le meilleur, au lieu de choisir une politique, c’est abdiquer. » Cette citation de Pierre Mendes-France -qui restera dans l’histoire de France comme un Homme d’Etat (et je mets un grand H et un grand E)- aurait du être gravée au frontispice de ces premières Primaires de la droite et du centre. Nous sommes à 3 jours de la « votation ». Dimanche, dans la soirée, nous saurons qui sont les deux qualifiés.
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Terne. Je me suis un peu ennuyé hier soir en regardant le débat n°3, mais c’est peut être la loi du genre. Nous étions loin des jeux du cirque, et ce n’est peut être pas si mal… Dans notre ère de communication à outrance, les hommes et les femmes politiques sont souvent pris pour des lessives. Témoin Trump, qui a bien réussi son opération tête de gondole, et parfois Sarkozy dont on ne sait plus très bien au gré de ses meeting si c’est l’ancien Président ou le showman qui s’exprime.
Hier soir, c’était sérieux, souvent convenu, et rarement profond. La faute au format. Avec, en plus, des journalistes et une régie qui nous ont clairement fait comprendre qu’il y avait les 3 pré-finalistes et les autres, parfois traités comme des intermitents.
Qui sera au 2e tour ? Bien entendu, le landernau politique s’agite. Hier, au déjeuner comme au diner (tôt pour cause de débat), mes invités politique et observateurs, tentés par Juppé, semblaient parier sur Fillon au 2e tour. Un basculement loin d’être imperceptible. J’ai pu constater chez nombre de mes amis qui, s’ils soutiennent encore tel ou tel poulain, risquent de faire un choix différent dans l’isoloir.
Depuis 15 jours, c’est le temps de la cristallisation, même si l’on n’est pas à l’abri des surprises. On s’intéresse de près à cette élection et, tranquillement, on choisit. Les électeurs murissent leur choix en fonction de l’actualité, des événements de la campagne et des meetings/débats. Et passer d’un candidat à l’autre n’est pas grave. Ce n’est pas trahir son camp, juste, in fine, décider après avoir vu, lu, entendu. Quitte d’ailleurs à changer encore d’avis entre les deux tours… Les sondeurs appellent cela « le caractère liquide » des primaires ! Souvenons-nous du décollage rapide d’Arnaud Montebourg en 2011 à l’issue des débats et le décrochage spectaculaire de Ségolène Royal, pourtant reine du bal 5 ans avant ! J’ai d’ailleurs croisé des partisans d’Alain Juppé qui, en cas de duel Juppé-Fillon en finale, pourraient désigner Fillon comme champion. Comme quoi, la politique n’est pas une science exacte !
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Champion. C’est vrai que, débat après débat, Fillon s’impose comme un candidat sérieux, crédible. Un Homme d’Etat qui a réussi habilement à gommer de son image 5 ans de Premier ministre de Sarkozy (au moment de quitter Matignon, il bénéficiait d’ailleurs d’une popularité record, gâchée par l’épisode de l’élection truquée à la tête de l’UMP). Facilement, mécaniquement j’allais dire, il a rejoint le club des big boss dans l’opinion française. Et ça marche. D’après Opinion Way, les plus convainquant ont été, hier soir, Alain Juppé (30%) et François Fillon (25%), laissant Nicolas Sarkozy à 13%.
Il faut en effet se souvenir qu’une campagne, lorsque l’électeur ne s’intéresse pas encore au sujet, revient à baliser un chemin. C’est ce qu’a très bien su faire Juppé depuis plus de 9 mois, idéal contrepoint à un Sarkozy qui, quoiqu’il s’en défende, n’a pas changé. Jusqu’à recycler ses vieilles promesses de campagne non appliquées lors de son quinquénat.
Problème, déjà évoqué devant mes étudiants et sur ce blog, le socle de Juppé est friable, composé majoritairement de choix de raison et non de passion, à l’inverse de celui de Sarkozy. Il n’y a d’ailleurs qu’à lire les prises de position de ses fans sur Facebook pour constater l’hystérie. Sarko, c’est le cloclo de cette campagne ! (j’espère pour lui que ça finira mieux cette année la !).
Passer de Juppé à Fillon (comme de Le Maire à Fillon) est une houle naturelle. Cela suffira-t-il pour qualifier Fillon au second tour ? Mes voisins de TGV viennent de démarrer la 3e mi-temps du débat. La nuit portant sûrement conseil, ils sont partagés entre Juppé et Fillon. Cristallisation encore…
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Duel. Le duel annoncé, Sarkozy/Juppé, n’est pas fun. On risque d’avoir affaire à un mauvais spectacle, genre TSS, tout sauf Sarkozy, ce qui ne grandira pas le débat et provoquera une victoire à la Pyrrhus. Le vrai duel, celui qui permettrait aux candidats d’aller au fond des choses, ce serait Juppé-Fillon (ou Fillon-Juppé). Là, plus de faux semblant, de comedia del arte, deux candidats sérieux, pondérés, pour qui la promesse marketing, miroir aux alouettes, n’est pas de mise.
Tous deux se réclament girondins, avec un état fort sur les questions régaliennes. Hier soir il semblait y avoir un consensus sur l’arrêt du stupide principe de précaution et sur la promotion de l’expérimentation, notamment sur l’évolution des contours des collectivités territoriales.
Mais quid de l’Europe, quid de la révolution du travail en cours, quid de la libéralisation des PME/PMI, quid de la vision ? On est encore sur sa faim, et, sur la vision, le métabut, Fillon ne m’a pas (encore) convaincu…
J’écrivais il y a quelques mois que Fillon avait assurément un très bon projet. S’il est qualifié, le débat et la campagne promettent d’être intéressants.
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Renouveau. La posture du renouveau est passée tout doucement de Le Maire, le vrai faux jeune, à Macron dont les communicants parlent comme d’une lessive. Jugez plutôt (c’était dans Le Parisien) : « L’idée, c’est l’enthousiasme et de s’adresser aux gens sans filtre, (…) pour mieux mettre en valeur le produit », affirme Adrien Taquet, cofondateur de l’agence Jésus et Gabriel car, comme l’explique dans son jargon Taquet, « Macron est un game changer : il change les règles du jeu. » Sic…
Si l’intention est louable – »lever les blocages »-, Macron est d’abord le candidat des métropoles face au reste de la France, un pur produit de la mondialisation dans une France qui doute de cette mondialisation. Pur produit du système qui, sous un air de gendre idéal, veut mettre le feu à la maison histoire d’éclairer la nuit qui l’entoure, selon le bon mot de Christophe Barbier, l’éditorialiste star de L’Express.
Cela suffira-t-il ? Le temps de la campagne n’est pas encore venu pour lui. Il place ses balises. Le débat viendra. Son destin est clair : JJSS ou VGE ! Sachant que pour conquérir 2 Français sur 3, il va falloir ne pas perdre son socle d’amis de la droite et du centre (une base non négligeable aujourd’hui dans les appréciations positives évaluées par les sondeurs), tout en continuant à séduire la jeunesse (bien mieux que Le Maire avouons-le) et en fédérant le centre gauche… La ligne de crête n’est pas large et ses premières promesses de campagne sont loin de faire l’unanimité, notamment chez les entrepreneurs.
On nous vend donc de l’image (avec des tactiques très old school d’ailleurs), c’est normal. Reste à Macron et à ses équipes à ne pas oublier la phrase de Mendes France. C’est la clé.
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« Ce monde, je vous l’assure, n’est qu’une immense entreprise à se foutre du monde » écrivait Céline. A eux de nous prouver que l’écrivain maudit avait tort !
© dessin d’Olivero, à qui j’ai piqué cette excellente illustration.
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