Je bois mon café au comptoir de L’Aventure. Un client, en payant, chantonne une chanson de Brassens en hommage à Macron. La veille, « il piccolo principe » (le petit prince comme l’ont surnommé les médias italiens) est arrivé premier. Depuis, j’ai ces vers du poète de Sète en tête…
Dire à ces brave gens « Poussez-vous donc un peu ! »
Place aux jeunes en quelque sorte…
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RIP ! 7 décembre 2015, je reprenais sur mon blog quelques vers de Verlaine. Un prétexte pour aborder l’avenir des partis. J’écrivais
« Nos partis, en France, sont datés du siècle dernier. Le monde change, bouge vite, cassant les vérités et les dogmes d’hier. Et rares sont les politiques à avoir une vision large, panoramique, de ces changements. Le rôle du politique est à la fois de comprendre, puis de fixer un cap et de redonner du sens dans un monde où tout un système de croyances et de valeurs semble s’effondrer. Et de parler aux Français de leur vie, la vraie, souvent bien éloignée de la « jet society ». Nous sommes aujourd’hui bien loin de la technique éculée qui consiste à recycler le passé. On a tous besoin de renouveau, de nouveaux visages et d’une vision. Les politiques doivent faire le tri entre l’artificiel et le fondamental, éviter de confondre le but et les moyens. »
Game over aurait pu dire l’un de mes enfants. Game over pour le PS et Les Républicains qui paient ici à la fois leur entêtement et leur incapacité à proposer une offre nouvelle. Le dégagisme a fait deux victimes. Et non des moindres.
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir…
Car enfin, les trois grands vainqueurs de ce premier tour sont ceux qui cultivent à dessein l’image de casseur du système. Marine, Jean-Luc et Emmanuel. Trois enfants de ce système justement, mais qui arrivent à faire croire qu’ils veulent « sortir les sortants » en proposant une offre politique nouvelle, différente, en rupture.
Chez les Socialistes, comme chez les Républicains, le choc est dur à digérer. Les Républicains sont passés du Pont d’Arcole à Waterloo en quelques mois, déclenchant un torrent d’insultes, de coups de menton et de déchirement sur les réseaux sociaux. Il y a d’un côté les purs (et durs ?) et de l’autre les vendus, les centristes, les mous. La zizanie est à son comble, entretenue par les postures nationales qui font qu’à l’arrivée ça ressemble à un triste bordel !
Bruno Le Maire a ouvert le bal sur BFMTV : je pourrais « évidemment travailler avec Emmanuel Macron » s’il n’avait pas de majorité au Parlement. Même son chez le président de la région Provence Alpes Côte d’Azur, généralement copieusement sifflé dans les meetings de Fillon, Christian Estrosi qui ne veut pas d’une France ingouvernable. Les juppéistes, unitaires, estiment qu’il faut voter Macron et faire entendre la voie du courant des « humanistes, libéraux et européens ». Les héritiers idéologiques de la vieille UDF.
De l’autre côté du ring, outre Sens Commun qui prône le vote blanc, Laurent Wauquiez se range résolument dans une future opposition frontale. « Je ne crois pas aux consignes de vote. Certains voteront Macron, d’autres blanc. Je demande que ce choix soit respecté. » On parle même d’une plateforme à signer par les candidats aux législatives qui stipulerait l’interdiction d’un vote de confiance à un gouvernement nommé par Macron. D’autres brandissent des menaces d’exclusion. Certains croient dur comme fer (ou font semblant, pour maintenir la cohésion des troupes comme me le confiait un directeur de cabinet d’un maire important de l’agglomération lyonnaise hier soir), qu’une victoire de la droite est possible aux législatives… François Baroin (qui dimanche dès 8h03 se jetait dans les bras de Macron) s’imagine une nouvelle fois premier ministre virtuel d’un président virtuel ! Après Sarko, Fillon, il fait les yeux doux à Macron tout en prenant la tête des Républicains pour la bataille des législatives.
Certains, enfin, osent dire qu’ils voteront Marine. Vraisemblablement plus nombreux que les voix minoritaires qui s’échappent.
Nicolas Sarkozy tente de colmater les brèches en annonçant qu’il donnera son suffrage à Emmanuel Macron. Tout en rappelant fort justement « qu’au mois de juin prochain, à l’occasion des législatives, les Français auront à nouveau la possibilité de faire le choix d’une alternance véritable en portant leurs suffrages sur les candidats investis par la droite et le centre. »
Bref, c‘est une marche qui ressemble bien à une fuite en avant du côté de la droite et du centre. Un centre d’ailleurs atone tant les leaders de l’UDI se font discrets ces derniers jours…
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Le blanc est de sortie… Cette élection est une belle revanche pour les instituts de sondage qui ont vu assez juste. « C’est l’élection du candidat des élites de l’argent qui possèdent les médias et les instituts de sondage » s’exclament certains sur Facebook, reprenant les thèses complotistes de l’extrême droite alors que jusqu’à présent ils se classaient dans le camp des modérés.
Un sondage OpinionWay pour Les Echos (publié mardi) met en avant l’importance du vote blanc, comme on peut le lire sur les murs Facebook ou dans les conversations avec de nombreux militants désappointés.
Dans le camp des fillonistes, seuls 41% d’entre eux obéiraient à leur champion en votant pour le leader d’En Marche ! ; 32% voteraient FN et 27% blanc, nul ou s’abstiendraient.
Du côté de Mélenchon, 50% de ses électeurs opteraient pour Emmanuel Macron, contre 17% à Marine Le Pen, malgré ses convergences programmatiques avec le tribun des insoumis. 33% choisiraient blanc, nul ou la pêche…
Et chez Benoit Hamon, 71% de ses partisans devraient se reporter sur Macron, contre 1% à peine pour Marine Le Pen. 28% des électeurs du frondeur prévoient de s’abstenir ou voter blanc ou nul.
D’ailleurs, les hashtags #SansMoiLe7Mai ou #SansMacron figurent parmi les mots clés les plus utilisés sur Twitter depuis dimanche soir…
Derrière ces pourcentages élevés se cache bien sûr de la déception et un certain agacement envers le politiquement correct qui consiste à affirmer partout que Marine est anti républicaine et, en parallèle, à autoriser son parti politique et à l’inviter aux cérémonies officielles comme l’hommage au policier abattu par un terroriste.
Il y a aussi l’amertume et la déception qui pousse à choisir son combat. Les législatives plutôt que le second tour.
Il y a encore le constat qu’il est difficile de choisir un candidat après l’avoir combattu et avant de le combattre encore.
Reste l’habituel vote utile de second tour. Le fameux, « au premier tour je choisis, au second j’élimine. » On le voit bien, l’arc républicain est fortement émoussé. Ou sont les manifestations monstres de 2002 ? Nulle part. La présence d’un Le Pen au second tour n’est plus l’épouvantail à moineaux d’antan. La ligne Maginot a été contournée. Logique, surtout lorsque l’on constate que les partis dits de gouvernement (dans le monde d’avant) ont été structurellement et idéologiquement incapables de parler à cette « France d’en bas », à cette France de ceux qu’il faut bien appeler les « oubliés de la République ».
Alors, voter utile ? Mais ce vote reste un vote de conviction, puisqu’on élimine en fonction d’une ligne idéologique, d’intérêts économiques et sociaux ou plus simplement de l’idée que l’on se fait du candidat. Le dilemme est cruel pour les électeurs de Fillon, par exemple. Comment voter pour quelqu’un que l’on va combattre dans les urnes dans tout juste trois semaines ? Et je ne parle même pas des contraintes idéologiques tant on a vu que la droite était elle même fracturée entre plusieurs tendances de fond peut être irréconciliables. Reste que la pêche ou le vote blanc est, ne nous cachons pas derrière notre carte d’électeur, aussi un vote en faveur de Marine Le Pen… Voter, c’est aussi choisir en pensant à la France !
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Lutte des classes. J’ai eu l’occasion sur ce blog d’écrire tout le bien que je pensais des analyses du géographe Christophe Guilluy. Je vous recommande son dernier essai « Le crépuscule de la France d’en haut » paru en septembre dernier. Il écrit
« La bourgeoisie triomphante du XIXe siècle a disparu. Ses petits-enfants se fondent désormais dans le décor d’anciens quartiers populaires, célèbrent la mixité sociale et le respect de l’Autre. Finis les Rougon-Macquart, bienvenue chez les hipsters… Bénéficiaire des bienfaits de la mondialisation, cette nouvelle bourgeoisie en oublie jusqu’à l’existence d’une France d’en bas, boutée hors des nouvelles citadelles que sont devenues les métropoles. Pendant ce temps, dans la France périphérique, les classes populaires coupent les ponts avec la classe politique, les syndicats et les médias. Leurs nouvelles solidarités, leur souverainisme n’intéressent personne. Le grand marronnage des classes populaires, comme avant elles celui des esclaves qui fuyaient les plantations, a commencé. On croyait la lutte des classes enterrée, voici son grand retour… »
Lutte des classes, comme un vieux souvenir qui surgit de nulle part. Rendons-nous à l’évidence, la lecture des cartes et de la géographie du vote est limpide. Le Pen s’impose dans la France rurale et périurbaine, faite de communes peu peuplées, tandis que Macron domine dans les plus grandes villes françaises. Autre signe de cette fracture territoriale : il y a de nombreux départements globalement dominés par la présidente du FN mais où l’ancien ministre de l’Économie émerge dans la ville-centre ou les principales sous-préfectures.
Cette fracture territoriale décrite par Guilluy et constatée depuis quelques scrutins semble bien ancrée. On a deux France qui s’opposent territorialement, j’allais dire identitairement. Une lutte des classes constatée aussi aux USA, en Angleterre et dans de nombreux pays européens lors des derniers scrutins. Derrière le vote se cache un combat entre deux visions du monde. La vision libérale (économique et sociétale) et pro-européenne et la vision dite souverainiste et identitaire, qui veut restaurer l’État, les frontières et le sens de la communauté face à la mondialisation.
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J’ai rêvé d’un autre monde ! La chanson de Téléphone passe à l’instant sur MFM Radio… Prémonitoire ? J’ai de plus en plus de mal avec cette vie politique et militante qui ne raisonne qu’au travers des oukases, des coups de menton et des fatwa vers tel ou tel au prétexte qu’il pense différemment de soi. Les réseaux sociaux, nouveau visage du narcissisme et de la publicisation des opinions, sont révélateurs d’une radicalisation, au moins verbale, qui interroge.
Lorsque Giscard rêvait de réunir 2 Français sur 3 ou que d’autres écrivaient un livre sur la paix civile tant éloignée de nos mœurs politiques, je regarde dans des pays européens, moins latins c’est vrai, et je constate que la vie politique est là bas plus apaisée. Et que lorsqu’un projet est bon, on peut le voter sans trahir la cause.
Les législatives sont en ligne de mire. Les Républicains espèrent se refaire la cerise et, si ça veut rire, avoir une majorité. Pourquoi pas, après tout c’est la majorité du Parlement qui fait le Premier ministre en charge de conduire la politique de la Nation, selon notre Constitution. L’histoire le dira, même si je pense logique qu’un Président élu puisse disposer d’une majorité.
La recomposition attendra peut être la fin des législatives et l’été. Car faute d’une majorité absolue, Macron devra composer.
Car sa situation n’est pas aussi simple que ses 24% du premier tour… Il n’a pas d’alliés et, a priori, n’en cherche pas, attendant tout de l’effet porteur du second tour et de sa position du « juste milieu » chère à Bayrou. Le premier tour des législatives opposera donc principalement cinq forces politiques importantes : le Front national, les Républicains-UDI, En marche !, le PS et La France insoumise. Dont trois en rupture forte avec le système comme écrit en début de papier.
N’oublions pas que seuls les candidats qui auront atteint la barre des 12,5 % des inscrits (et non des votants) pourront accéder au second tour. Seuil très important… Du coup, la question pour Macron est de savoir s’il présente partout des candidats ou s’il facilite la mise en place d’une coalition avant même le premier tour des législatives. Choix cornélien… Je tente de faire exploser le système avant ou bien je fais le pari de passer en force avec mes seules troupes au risque d’une cohabitation ?
Les semaines à venir risquent d’être passionnantes. Et pour certains d’être un combat à la vie, à la mort !
Merci Erick pour cette analyse O combien pertinente, et dont tu n’as cessé de pronostiquer la réalité actuelle…!
Sans doute nos »puissants esprits politiques » n’ont ils pour seule ligne de conduite » Si vis pacem, para bellum », alors que le peuple de France ne désire que vivre en paix et harmonie….
Encore faut il savoir l’entendre et se mettre à sa portée…
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